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Marie-Nel lit

Le consentement de Vanessa Springora

7 Décembre 2020 , Rédigé par Marie Nel

Le consentement de Vanessa Springora

Publié aux éditions Grasset


Résumé :

Séduite à l’âge de quatorze ans par un célèbre écrivain quinquagénaire,  Vanessa Springora dépeint, trois décennies plus tard, l'emprise que cet homme a exercée sur elle et la trace durable de cette relation tout au long de sa vie de femme. Au-delà de son histoire intime, elle questionne dans ce récit magnifique les dérives d'une époque et le complaisance d’un milieu littéraire aveuglé par le talent et la notoriété. 


À propos de l’auteure :

Vanessa Springora est éditrice, Le consentement est son premier livre.


Mon Avis :

Je voulais lire ce livre depuis sa sortie en janvier de cette année, il a fait beaucoup de bruit et de remous dans le milieu littéraire. Tout le monde a entendu parler de Vanessa Springora et du récit qu'elle fait de sa relation avec un écrivain célèbre dans les années 80. Elle a obtenu depuis, en juin, le prix des lectrices Elle. 

C’est un récit poignant, sans fards, et en même temps avec beaucoup de sensibilité et de pudeur. Vanessa Springora commence par raconter son enfance avec un père absent, des disputes régulières de ses parents, des portes qui claquent, menant à une séparation. Elle est encore toute petite et reste avec sa mère. Une mère qui se découvre une liberté, qui multiplie les amants, un père qui ne vient jamais voir sa fille, Vanessa est souvent seule, elle se réfugie dans les livres. Elle connait ses premiers jeux amoureux avec son ami d'enfance. Sa mère travaille dans une petite maison d’édition. Lors d'un dîner, Vanessa rencontre G. M., comme elle l'appelle dans le livre, mais le lecteur sait très bien qu'il s'agit de Gabriel Matzneff, un écrivain de 49 ans, au charisme débordant, et avec un charme certain. Il va revoir Vanessa, va venir la chercher au collège, va la mener chez lui, où il lui offrira de l’attention. Cela commence gentiment, jusqu’à ce que les caresses deviennent plus précises. Vanessa est très jeune, en manque d'affection justement, et elle va tomber amoureuse de cet homme qui fait attention à elle, qui lui envoie des lettres, des poèmes. Aucune réaction de sa mère, qui au contraire, est même jalouse de sa fille car elle a essayé de charmer l’écrivain sans y être parvenu. Cela semble alors une évidence, quand au fur et à mesure, on apprend les penchants de G. pour les jeunes filles et garçons. Petit à petit, il va enfermer Vanessa dans son univers à lui, l’empêchant de voir des copines d’école, il la sort, l’emmène avec lui dans des soirées mondaines, dans des émissions de télé. Il lui dit que sans elle, il n’aurait plus d’inspiration pour écrire. Mais Vanessa va, au bout d'un an de relations intimes, se rendre compte qu'il entretient des relations avec d'autres jeunes filles, il lui ment, prétexte des voyages alors qu’elle le croise dans la rue ou dans un café avec une autre jeune fille. Vanessa devient suspicieuse, un peu jalouse aussi. Elle va profiter de son absence pour lire ses romans, ceux-là où ils se vantent de relations sexuelles avec de jeunes garçons d'une douzaine d’années à Manille. Le commerce sexuel dans toute sa splendeur. Elle va le quitter enfin, mais lui ne fera pas une croix si facilement sur elle, continuant à l'attendre, a lui donner des rendez-vous,  à lui écrire. Vanessa va avoir de son côté, beaucoup de mal à remonter la pente, à se défaire de ce manipulateur, la culpabilité est immense. Et quand elle en parle à sa mère, celle-ci lui dit de ne pas laisser ce pauvre homme, et qu'il l'aime… il continuera à la harceler longtemps…

Ce livre a été pour elle un moyen de « prendre le chasseur à son propre piège, l'enfermer dans un livre. » Elle a mis du temps pour écrire ce livre, ce témoignage, on comprend aisément combien cela a dû être dur.  Revenir sur ces moments terribles de son enfance et adolescence, refaire tout le parcours n'a pas dû être facile. Et en même temps, cela a permis de se libérer, de quelque part se déculpabiliser. Ce livre a remis beaucoup de monde en question. Cet homme était jusqu’à la sortie du livre de Vanessa, encore édité. Ces livres affreux qui font l'apologie de la pédophilie, n’étaient pas encore retirés des maisons d’édition. C’est ce témoignage qui a permis de revenir en arrière et se rendre compte du monstre qui se cache derrière cet homme. Il a été invité en 1987 à Apostrophes, l’émission littéraire de Bernard Pivot où il parle de ses livres, où Pivot lui dit qu’il aime les jeunes filles, j'ai vu des extraits de ces émissions, c’est à vomir la façon dont on met cet homme sur un piédestal. Il passera en 1990, à nouveau dans cet émission, où une écrivaine canadienne va l’apostropher et montrer son indignation que de tels écrits existent et que cet homme puisse venir en parler sur un plateau télé. Ça n'ira malheureusement pas plus loin que ça. C’est vrai que c’était une autre époque, qu'on était encore dans la libération des mœurs sexuelles, mais il y a quand même des limites qu'il n'aurait pas fallu dépasser ! Cet homme, ce Gabriel Matzneff, a des appuis haut placés, des amis écrivains et philosophes qui le défendent, il arrive tellement bien à manipuler son monde, à se faire passer pour le malheureux, à charmer son public, que tout lui est permis. Il y aura une enquête de la Brigade des Mœurs, sur une dénonciation anonyme, les policiers vont tomber sur lui dans l'escalier de son logement, il est avec Vanessa, et rien ne lui sera rapproché, les policiers vont même blaguer avec lui.. C’est assez dingue de voir que tout lui a été autorisé, que jamais il n'a été poursuivi. À part maintenant, en 2020, trente-quatre ans après tout ça.. 

Et Vanessa a dû vivre avec ça. Quand elle se croit libre et tranquille, il retrouve sa trace, lui envoie des lettres, laisse des messages à ses employeurs.Il a même été jusqu’à publier les lettres qu'ils se sont écrites, il a publié des photos d'elle à 14 ans sur son blog, il s'acharne. Même là, avec la sortie de ce livre, il a essayé par journalistes interposés. Bien sûr, il nie tout, pour lui il était important que les jeunes filles connaissent leurs premiers rapports sexuels avec un homme mûr, qui savait faire. Non, non, ça ne se passe pas comme ça !! Et Vanessa doit vivre avec ça…elle dit : 
« J'ai beau être adulte, dès qu’on prononce le nom de G. devant moi, je me fige et redeviens l'adolescente que j’étais au moment où je l'ai rencontré. J'aurai quatorze ans pour la vie. C’est écrit. »
C’est fort, et je la comprends tellement. Ce sont des blessures qu'on ne peut pas effacer, elles laissent des cicatrices à vie, parfois elles font mal, parfois non, mais elles sont toujours là. Je ne vais pas parler de moi, mais ma propre expérience m’a fait très bien comprendre ce que Vanessa a ressenti, que ce soit plus jeune ou maintenant dans sa vie d'adulte. Comme je dis toujours, c’est comme si vous cassiez une tasse et recolliez les morceaux, on voit toujours où elle a été cassée et en gardera les traces toute sa vie de tasse. Il en est de même avec les blessures de la vie. Certaines sont très profondes. J'ai été contente de lire que Vanessa a rencontré l'amour, le vrai, avec qui elle a eu un enfant. Elle a réussi à se construire une vie sur ces bases tellement fragiles. Elle qui ne lisait plus, qui avait abandonné les livres est finalement devenue éditrice. C’est une belle revanche sur tout ce qu'elle a pu connaître et sur tout ce que l’univers littéraire a pu lui affliger.

Ce livre fait un peu plus de deux cents pages, je l'ai lu en un après-midi, je n'avais pas envie de quitter Vanessa. J'ai souvent eu envie de la réconforter, de l'aider. Et la meilleure façon pour moi de le faire est de parler d'elle dans cette chronique. Les situations relatées m'ont souvent émue, certains faits m'ont donné envie de vomir. Jamais Vanessa est vulgaire, tout est raconté avec beaucoup de sensibilité. L'auteure ne se cache pas, ne se voile pas la face, elle raconte comme les faits se sont passés, comme elle les a vécus et ressentis. Elle ne porte pas de jugement sur elle. Elle a certainement dû faire un travail sur elle conséquent pour arriver à parler de tout cela d'une manière la plus détachée possible. Elle est très humble et elle a su montrer le vrai visage de cet homme. Elle a eu le courage de rendre cette histoire publique, de dénoncer le manque d'action et de réaction de tout ce monde littéraire. Lui a beaucoup moins de courage qu'elle. Depuis la parution de ce livre, il est parti se réfugier en Italie et ne s'est jamais exprimé. De toute façon, il dira encore qu’il n'a fait que le bien autour de lui. Un tel pervers narcissique ne changera jamais. Une personne que je ne comprends pas dans ce livre, c’est la mère de Vanessa, qui n'a jamais rien dit, jamais essayé de protéger sa fille. Elle devait bien savoir elle ce que faisait Metzneff, et que ce n’était tout simplement pas normal que sa fille sorte avec un homme de 35 ans son aîné. J'ai des filles, et je n'arrive pas à comprendre ce comportement de mère irresponsable. Désolée, je suis peut-être dure, mais une mère est la5pour protéger ses enfants, et ce n'a pas été le cas pour cette femme. 

La lecture de ce livre est nécessaire. Pour dénoncer. Pour ne plus avoir d'homme qui se croit au-dessus de tout, des lois, de la morale. Je crois que c’est totalement utopique. Cela existera toujours. Mais des livres comme celui-ci peuvent aider à libérer la parole des femmes, à raconter leur histoire, à dénoncer les hommes qui leur ont fait du mal, qui les ont considérées comme des objets sexuels. Pour cela, je ne remercierai jamais assez Vanessa Springora d'avoir écrit ce livre. À la fin du livre, Vanessa laisse un message à tout ceux qui disaient qu'à cette époque là, ils ne pouvaient rien dire, on peut toujours dire, dénoncer, et non, la littérature n’est pas au-dessus de la morale, et un artiste, un écrivain, doit être jugé quand ce qu'il dit ou écrit porte atteinte à une personne. 
« La littérature se place au-dessus de tout jugement moral, mais il nous appartient, en tant qu’éditeurs, de rappeler que la sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas atteint la majorité sexuelle est un acte répréhensible, puni par la loi. »
À espérer que jamais ne soit baissée la majorité sexuelle, comme il en a été question au début du quinquennat de notre président actuel. Il faut continuer à protéger nos enfants de prédateurs sexuels, et que ceux-ci soient punis par la loi.

Je suis désolée par cette longue chronique, mais ce livre m'a tellement remuée, c’est impossible de ne pas en parler autour de soi. Je recommande cette lecture pour être vigilant, pour ne plus fermer les yeux, pour dénoncer, pour laisser la parole aux victimes. Je pourrais encore vous parler longtemps de ce livre tellement il m'a touchée personnellement. Lisez le, tout simplement. Parlez-en autour de vous. Comme dit l'auteure, et je conclurai avec cette citation :
« Ce qui caractérise les prédateurs sexuels, en général, et les pédocriminels, en particulier, c’est bien le déni de la gravité de leurs actes. Ils ont coutume de se présenter soit comme des victimes (séduites par un enfant, ou une femme aguicheuse), soit comme des bienfaiteurs (qui n'ont fait que du bien à leur victime).
Il ne faut pas oublier, c’est important. 

Vanessa Springora ne lira sûrement jamais cet avis, mais je la remercie chaleureusement pour ce témoignage, d'avoir écrit son histoire. Elle fait écho en moi, et m'a permis moi-même à déculpabiliser encore plus. J'ai lu ce livre grâce a un emprunt à ma médiathèque, mais je pense que je vais l'acheter, car j'aimerais l'avoir dans ma bibliothèque pour pouvoir relire certains passages qui sont déculpabilisants.
 

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C
Merci beaucoup pour cette chronique, Marie ! J'ai très envie de lire ce livre, également depuis sa sortie. Je n'en avais pas pris le temps, mais votre article me le rappelle et me convainc de m'y mettre !
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M
N'hésitez pas à venir me dire ce que vous en aurez pensé
M
J'en suis très heureuse si je vous en ai donné envie...il faut vraiment le lire...