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Marie-Nel lit

Miss Jane de Brad Watson

22 Mai 2020 , Rédigé par Marie Nel

Miss Jane de Brad Watson

Publié aux éditions Le Livre de Poche

 

 

Résumé :

 

Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi. Quelques instants après sa naissance, le docteur constate que Jane est née avec une malformation. Il s’agit d’un véritable handicap, avec lequel elle devra composer sa vie durant.
Ses premières années sont insouciantes. Ce n'est qu'à l'approche de ses six ans que la fillette prend conscience de sa singularité. Mais sa soif d'apprendre est plus forte que les réticences de ses proches. Elle entre à l'école, se plonge dans les livres. Puis arrivent l'adolescence et les premiers émois amoureux…
Dans une Amérique rurale que le XXe siècle est en train de bouleverser, Miss Jane est l’histoire poignante et pleine d’espoir d’une héroïne hors du commun qui fait face à son destin. Un grand roman de formation et d’émancipation, porté par une écriture sensible et délicate.

 

 

À propos de l'auteur :

 

Brad Watson est l’auteur de plusieurs nouvelles acclamées par la critique et d’un premier roman, Le Paradis perdu de Mercury, finaliste du prestigieux National Book Award. Aujourd’hui responsable du département de Creative writing de l’université du Wyoming, Brad Watson a travaillé près de treize ans sur son deuxième roman, Miss Jane.

 

 

Mon Avis :

 

J'ai lu ce livre dans le cadre du Prix des Lecteurs du Livre de Poche. Ce prix me permet de faire des découvertes que je n'aurais pas faites autrement, et c'est déjà la grande richesse de cette expérience. Miss Jane aurait sûrement fait partie des livres vers lesquels je ne serais pas allée, et pourtant, le résumé est intéressant et m'a tout de suite donné envie de le découvrir. Mais, il y a tellement de parutions, qu'il est toujours difficile de tout voir.

 

Je ne connaissais pas non plus Brad Watson, je n'en avais jamais entendu parler, et pourtant il signe ici son deuxième roman. Il s'est inspiré de l'histoire vraie de sa grand-tante, souffrant du même handicap que la Jane du roman, et décédée à l'âge de 87 ans, en 1975, sept ans avant la première intervention chirurgicale soignant avec succès un cas souffrant de la même maladie.

On va donc suivre cette femme dès sa naissance. Elle est issue d'une famille de fermiers dans le Mississippi, elle est la quatrième enfant née, il ne reste que sa grande sœur, Grace, à la maison. Le docteur Thompson, venu aider à la naissance, se rend vite compte que le bébé souffre d'une malformation qui risque de l'handicaper à vie. Elle n'est pas visible, car elle concerne des organes internes, mais les conséquences sur le fonctionnement du corps, lui, seront bien apparentes pour les autres. L'enfant va ainsi grandir avec ce handicap, c'est sa sœur Grace qui s'occupera le plus de lui. Jane ne pourra pas vivre comme les autres, et devra tout le temps concilier sa malformation avec sa vie « normale ». Pas question pour elle de vivre et de faire comme les autres enfants de son âge. Elle tentera d'aller à l'école, car elle aime apprendre et est très intelligente (elle apprendra à lire en quelques mois), mais elle n'arrivera pas à gérer ce handicap et à le concilier avec une vie sociale avec les autres enfants. Ses relations avec les autres d'ailleurs seront très difficiles. Elle essaiera de comprendre de quoi elle souffre, elle ne comprend pas tout, et le docteur Thompson lui sera d'une grande aide et d'un grand soutien, en essayant de lui expliquer le plus simplement possible de quoi elle souffre, en l'emmenant voir des spécialistes pour essayer de l'opérer et de la guérir. Malheureusement, cela sera impossible tout le long de sa vie. Comme toute jeune fille, Jane connaitra les premiers émois amoureux mais elle sait à l'avance qu'elle ne pourra jamais avoir de relations normales avec un homme, elle s'en fera une raison, cherchant même à éloigner ceux qui pourraient trop s'intéresser à elle.

 

On va ainsi suivre Jane toute sa vie durant, baignée dans l'Amérique rurale du début du XX ème siècle, qui voit arriver les premiers changements et progrès, les motorisations. Brad Watson a très bien su décrire cette période là, j'ai vraiment réussi à bien me transposer à cette période du début du siècle. Je me suis très vite attachée à Jane, il est difficile d'en être autrement, quand on voit toutes les difficultés qu'elle a pour vivre facilement et surtout de se faire accepter avec une différence qui n'est pas visible. Elle est d'une force de caractère telle qu'elle arrivera à se construire malgré les barrières que son handicap mettra dans sa vie. L'auteur parle de cette maladie avec beaucoup de pudeur, il n'en dit jamais de trop et n'entre jamais dans les détails du handicap, il explique plutôt les conséquences sur sa vie de tous les jours, ce que cela entraine comme problèmes qui peuvent la bloquer dans ses relations avec les autres. Comme si il ne voulait pas blesser sa grand-tante au cas où elle aurait lu son roman, il a voulu ainsi garder une certaine délicatesse envers elle. Donc, nous, en tant que lecteurs, on ne connait pas précisément la nature de cette malformation, on ne le saura plus précisément que vers la fin du roman, quand Jane saura mettre des mots dessus.

Je me suis rapidement mise à sa place, je ne l'ai pas prise en pitié non plus, car Jane est d'une grande combativité, elle reste très positive sur elle-même. Elle sait ce qu'il faut qu'elle fasse pour ne pas causer de désagréments lorsqu'elle est en public. Elle va même d'ailleurs en jouer lorsqu'elle voudra se défaire de personnes gênantes. Elle mettra parfois sa vie en danger pour essayer le plus possible d'être comme tout le monde. Jane sera une femme tellement plus libre dans son invalidité que bon nombre de gens « normalement » constitués. Elle donne une grande leçon d'acceptation de soi, de dépassement et d'indépendance. C'est une femme inspirante pour toutes celles qui souffrent.

 

Brad Watzon reste très pudique dans la description de la maladie de Jane, il n'est pas voyeur et pourtant cela touche les parties intimes de la petite fille. En parcourant son site, j'ai appris qu'il avait travaillé sur ce roman pendant près de treize ans et qu'il lui avait fallu une trentaine de moutures pour réussir à cerner le personnage et sa condition particulière. Cela se sent à la lecture, tout est maitrisé, sa façon de parler de Jane, de nous la montrer, tout est écrit avec beaucoup de sensibilité. À certains moments même, l'auteur utilise un style très contemplatif sur les personnes ou sur les paysages, avec des descriptions dignes d'un Maupassant ou d'un Stendhal. J'ai retrouvé dans Brad Watson le style qu'employaient ces écrivains que j'avais étudiés pendant mes études. Cela ne me dérange pas du tout, au contraire, il porte à la rêverie et je trouve cela assez hors du commun par rapport au sujet principal du livre. En plus d'une sorte d'hommage à sa grand-tante, Brad Watson parle avec beaucoup de justesse du microcosme rural de cette époque, malmenée par les décisions de dirigeants qui ne voient pas les conséquences de leurs décisions sur leurs peuples. Le début du vingtième siècle a été très perturbant pour chacun que l'on vive aux États-Unis, en Europe ou ailleurs dans le monde. Et l'auteur a très bien su rapporter cela au travers l'histoire de Jane et de sa famille.

 

L'attachement à Jane s'est fait malgré le choix narratif de l'auteur puisque tout est raconté à la troisième personne du singulier. C'est d'habitude pour moi plus difficile de me sentir au plus près du personnage, je suis plus sensible au « je », mais j'ai apprécié ici ce choix, car il m'a permis de garder une certaine distance avec Jane. Car elle véhicule déjà beaucoup de sentiments divers et d'émotions, et pas besoin d'une narration à la première personne pour ressentir au plus près tout ce qu'elle vit. J'ai ainsi pu me mettre aux côtés de Jane, sans pour autant être à sa place. L'auteur décrit très bien les émotions, difficile de ne rien ressentir face à tout ce que vit la jeune femme.

Le seul point que je regrette est que je n'ai pas réussi à autant m'attacher à la vie adulte de Jane qu'à sa vie d'enfant. J'ai trouvé la partie de son enfance beaucoup plus développée que celle concernant sa vie d'adulte, et c'est bien dommage. J'aurais aimé la suivre un peu plus dans sa vie de femme, savoir comment elle est arrivée à vivre les sacrifices qu'elle a dû faire, une vie familiale, une vie de mère. Et puis en même temps, suivre le développement du Mississippi à travers ses yeux. La fin est arrivée un peu vite aussi, j'aurais vraiment aimé qu'à partir de la vie de femme de Jane, quand elle quitte ses parents pour vivre en ville, tout cela soit plus développé. J'ai trouvé qu'il y avait une grosse différence par rapport à son enfance, beaucoup plus expliquée. Pour le coup, là, j'ai ressenti une distance se créer entre moi et la Jane adulte, cela a cassé l'enchantement que j'avais eu pendant sa jeunesse, et j'ai trouvé cela fort dommage.

Mais cela n'empêche pas que ce soit au final une bonne lecture. J'écris cet avis quelques jours après la fin de ma lecture, j'ai voulu laisser reposer pour être la plus juste possible. Et le sentiment final que j'ai est plutôt bon, Jane, par son histoire particulière, saura rester dans ma mémoire.

 

La découverte de cet auteur, Brad Watson, à travers l'histoire de Jane, m'a donné en tout cas envie de lire son premier roman, Le Paradis perdu de Mercury, qui a été finaliste d'un prix prestigieux. J'ai envie de le lire à nouveau, dans un autre univers, moins biographique, qui se passe également au Mississippi dans les années 1920. J'aime conforter mon avis sur un auteur en lisant ses autres écrits, cela me permet de me faire une idée plus juste sur lui, plutôt que de le juger sur une seule lecture.

En tout cas, je ne peux que vous conseiller de rencontrer Jane et de lire son histoire de vie particulière.

 

C'est ce que j'aime avant tout dans ce Prix des Lecteurs, me permettre de lire de nouveaux auteurs, de noter dans ma liste des livres que j'ai envie de lire. C'est une expérience très enrichissante et très instructive.

Je doute que Brad Watson lise un jour cette chronique, mais je le remercie pour ces instants de lecture qui seront difficiles à oublier.

Et surtout, un grand merci au Livre de Poche de nous permettre de lire de nouveaux auteurs et de découvrir des histoires passionnantes.

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