Vibre, exquise nature ! selon Chardin de Alain Vircondelet
Publié aux Ateliers Henry Dougier
Résumé :
" Chardin élaborait une composition particulière et savante, prête à susciter une émotion. Il avait édifié sa pyramide comme si chacune de ces fraises était un objet sacré, des hosties qu'il aurait empilées l'une après l'autre jusqu'à réaliser cet édifice éphémère, mais non moins religieux à ses yeux. (...) Chardin souhaitait par là célébrer la beauté à l'état pur, sans fioritures, telle que la nature l'avait voulue. (...) Certes, cela n'allait pas dans le sens du siècle, désormais tout entier tourné vers les grandes toiles historiques de Vernet ou Géricault."
Le Panier de fraises des bois est sans doute l'une des natures mortes réalisées par Jean Siméon Chardin qui illustre le mieux "le goût français". Classé "trésor national" depuis la fameuse vente aux enchères qu'Artcurial organisa le 23 mars 2022 à Paris, le tableau entre au Louvre début 2025 pour rejoindre l'impressionnante collection du peintre déjà en place.
À propos de l'auteur :
Alain Vircondelet est universitaire, docteur en histoire de l'art et des mentalités, écrivain et biographe de nombreuses figures de l'art, de la littérature et de la spiritualité. Outre ses travaux de référence sur Duras, Camus et Saint-Exupéry, on lui doit des ouvrages consacrés à Séraphine de Senlis, Balthus, Picasso, Dora Maar et, plus récemment, à Toulouse-Lautrec, tous traduits en plusieurs langues. En 2021, il publie aux Ateliers Henry Dougier, dans la même collection, De l'or dans la nuit de Vienne selon Klimt.
Mon Avis :
Pour cette rentrée littéraire de janvier, deux nouveaux livres de la collection "Le roman d'un chef d'oeuvre" sont sortis aux Ateliers Henry Dougier. Si vous me suivez régulièrement, vous savez déjà que j'aime beaucoup cette collection, elle me permet de découvrir des artistes, ou de redécouvrir ceux que je connais déjà. En effet, dans cette collection, un auteur s'empare d'un artiste ou d'une de ses oeuvres, une toile, une sculpture. Cette oeuvre est alors la base de l'histoire, l'auteur raconte alors la vie de l'artiste, tout en se fixant sur cette oeuvre plus précisément.
Pour ce second livre que je lis en ce mois de janvier, Alain Vircondelet, que j'ai eu déjà l'occasion de lire et d'apprécier, va nous parler de Jean Siméon Chardin et plus particulièrement d'une de ses toiles, Le panier de fraises des bois. Avant de commencer ce livre, je ne connaissais pas du tout cet artiste, j'ai dû déjà voir le tableau, mais je n'en savais pas plus. Jean Siméon Chardin est un artiste du tout début du XVIIIème siècle, il est né en 1699. Très vite il se passionne pour l'art, à à peine 25 ans, il rentre comme maitre peintre à l'Académie de Saint-Luc. Il est très vite remarqué par l'Académie Royale, même si ce qu'il peint n'est pas ce qui se fait à cette époque là. On est plus dans des toiles qui représentent des chasses à cour ou des grandes fresques de nature, Madame de Pompadour, par exemple, préfère les toiles de François Boucher, plus élaborée, plus fournie. Chardin, lui, aime peindre les fruits, les poissons, les gibiers, posés sur un buffet ou sur une table. Comme dans ce tableau du panier de fraises des bois, où les fruits sont délicatement posés en pyramide sur un plat en osier tressé, accompagné d'un verre d'eau, d'une pêche et de deux cerises. La lumière est apportée grâce aux deux oeillets blancs, qui se réfléchissent dans le verre d'eau. Le fond de la toile est marron, tout simple. Ce tableau représente à lui tout seul le style de Chardin. Il peindra des bocaux de prunes, du raisin, des pommes, mais aussi une blanchisseuse, ou une femme jouant de la serinette. Son style a souvent été comparé à celui des peintres flamands, Vermeer ou Rembrandt. Il était ami avec Jean-Jacques Rousseau ou encore Diderot. Il ne se sentait pas à l'aise avec son époque et dans le monde où il vivait, il le trouvait trop frivole et superficiel. Pour lui, la peinture n'était pas faite pour décorer, mais pour transmettre des choses sur la vie de tous les jours.
Tout ce que j'ai appris sur cet artiste m'a passionnée. Comme d'habitude avec ce genre de livres, je regarde sur internet les toiles dont il est question dans le livre, afin de mieux m'imprégner des oeuvres faites par l'artiste. J'ai trouvé qu'il avait un talent pour retransposer les couleurs. Il a fait son auto-portrait, et je l'ai trouvé très moderne, comme si je regardais une photo. C'est vrai que sa façon de peindre change avec ce qui se faisait à cette époque. Les toiles alors étaient beaucoup plus chargées en détails, en sujets. Tandis que pour Chardin, c'est beaucoup plus simple, il met l'accent sur quelques objets, notre regard est tout de suite attiré par eux. Il y a peu de choses sur ces tableaux, mais ce qu'il y a est très détaillé. Alain Vircondelet raconte comment il a peint ce panier de fraises, comment il les a assemblées délicatement, laissant paraitre quelques feuilles vertes. Chardin était très méticuleux, revenant plusieurs fois sur sa toile pour accentuer la lumière ou au contraire intensifier la matité. Grâce à l'analyse de l'auteur, j'ai vu plein de détails que je n'aurais pas forcément remarqués, et je trouve cela très enrichissant.
J'ai aimé suivre la vie de ce peintre. Alain Vircondelet le fait de manière simple, sans fioritures, rendant ainsi son texte accessible par tous. Il retrace toute la vie du peintre, de sa naissance à sa mort, et même au-delà, notant ainsi l'influence qu'il a eu ensuite sur d'autres. J'ai aussi beaucoup aimé qu'il explique aussi ce qu'étaient devenues les toiles de cet artiste, bien après sa mort. Ces oeuvres resteront dans l'ombre bien longtemps, et le talent de Chardin sous-estimé. Le panier de fraises des bois sera le symbole de toute la carrière du peintre. Il a même été représenté sur des bus à Tokyo et a aussi illustré des calendriers, des carnets, etc... Cette toile a été classée comme trésor national après sa vente aux enchères en 2022, plus de 260 ans plus tard. Elle va d'ailleurs rentrée au Louvre au début de cette année.
Ce livre fourmille d'informations très intéressantes. Comme pour chacun d'eux, après le récit de l'auteur, il y a des parties que j'aime beaucoup lire, la biographie complète et détaillée du peintre, et une partie "Regards croisés" qui est très enrichissante. Ce sont en effet des textes, ou des extraits, écrits par d'autres auteurs sur l'artiste. J'ai pu ainsi croiser des textes de Denis Diderot ou encore des frères Goncourt. C'est très intéressant de lire ce que d'autres célébrités pensaient de cet artiste. Ce livre est vraiment très complet, j'ai noté aussi quelques références de livres qui parlent aussi de Chardin. J'aimerais beaucoup approfondir ma connaissance de cet artiste.
J'ai passé un très bon moment avec ce livre, qui est en plus un très bel objet. La toile est représentée dans les rabats, avec l'accent sur certains détails. Ma collection s'agrandit, pour mon plus grand plaisir. J'ai déjà hâte de découvrir les prochaines parutions dans cette collection. Si vous ne la connaissez pas, je ne peux que vous la recommander. C'est mettre l'art à la portée de tous.
Il ne me reste plus qu'à remercier Alain Vircondelet pour ce moment de lecture très enrichissant. Et un grand merci à Sabine des Ateliers Henry Dougier pour sa confiance renouvelée en mon blog.
Il n'était pas dupe des mensonges du prétendu réalisme, certain que la peinture détenait des aptitudes à retenir en elle des secrets d'âme, e que même les fruits et les fleurs étaient disponibles pour favoriser toutes le entrées vers des mondes mystérieux.
Le panier de fraises des bois atteignait à ses yeux, une autre vocation : pénétrer dans le silence des choses immobiles.
"... il avait une originalité certaine, car contrairement à toutes les mignardises de son époque, aux scènes légères fixes, des gestes suspendus, des regards qui s'attardaient vers des points inconnus, des personnages saisis dans leur réflexion solitaire.
Il se plaisait à dire que de l'air enveloppait ses sujets, auquel il donnait libre cours, alors que dans les peintures de ses contemporains, les objets, la nature, les êtres étaient ornés, agrémentés, surchargés.
Le moindre mouvement de couleur détecté dans une nature morte de Chardin ne relève d'aucune méthode particulière ; c'est la force de la matière qui a guidé sa mai et qui a pénétré ainsi, par une sorte d'instinct ans nom, sans identité, sans référence, au plus secret de ses fruits et de ses objets.
La seule exigence de l'artiste aura résidé dans son opposition farouche aux affèteries de son siècle, grâce à laquelle il put entrer, libre et solitaire dans le royaume enchanté de la peinture, auquel seuls ont pu accéder ceux qui se sont pliés à ses sortilèges avant et après lui : Michel-Ange, Titien, Goya, Rembrandt, Vermeer, Picasso, Bacon, Soulages Balthus et quelques autres encore.
Chardin est hors de son temps, hors de tout usage, hors de tout lexique, hors de tout, jeté seulement dans le courant aveugle de la peinture.