On n'est plus des gens normaux de Justin Morin
Publié aux éditions La Manufacture de Livres
Résumé :
Ce roman aurait pu être un récit documentaire. En 2017, P. fonce avec sa voiture sur la terrasse d’un restaurant. Une adolescente de 13 ans, meurt sur le coup. On comptera des dizaines de blessés. Alors journaliste, Justin Morin couvre le procès. Il y rencontre une famille ainsi que la sœur du coupable. La famille, c’est celle de l’adolescente dont les parents réclament justice. Une famille amputée dont les liens se resserrent. À l’issue du procès, le journaliste n’arrive pas à mettre un point final à son récit. Alors c’est le romancier qui prend la relève pour tenter de comprendre. Réinventer une histoire familiale, basculer dans la fiction en recréant le personnage de Lisa, la sœur du coupable. Interroger le réel en puisant dans l’imaginaire.
À propos de l'auteur :
Justin Morin a grandi à Rouen et vit maintenant à Paris. Journaliste, il a intégré en 2021 le master de création littéraire de l’université de Paris-VIII. Il anime également des ateliers d’éducation aux médias et à l’information. On n’est plus des gens normaux est son premier roman.
Mon Avis :
Justin Morin signe avec ce livre son premier roman. Et il commence très fort, il met la barre très haute. J'espère arriver dans cet avis à retranscrire toutes les émotions que j'ai vécues pendant la lecture de ce livre. Rien qu'à lire le résumé, j'étais déjà touchée par le sujet. Et je pense que je ne suis pas la seule. Le tout est de voir ensuite comment l'auteur a traité ce sujet, ma curiosité était piquée au vif.
L'auteur est journaliste. Il couvre le procès d'un assassinat loin d'être banal. Je me souviens avoir entendu parler aux informations de cette affaire. On est en aout 2017, le 14 précisément, il fait beau, on est à la terrasse d'une pizzeria. On fait la connaissance d'une famille, Sacha et et Betty, les parents, sont attablés à la terrasse extérieure avec leurs trois enfants, Nikola, Angela et Dimitri. D'autres personnes sont également présents. Ils voient soudain une voiture rouler à vive allure, et surtout, ils la voient changer de direction et arriver tout droit vers eux. Tout se passe en quelques secondes, la voiture vient s'encastrer dans la vitrine de la pizzeria, emportant avec elle la terrasse et ceux qui y sont. Il y aura beaucoup de blessés, mais surtout, Angela, 13 ans, mourra sur le coup. Son petit frère Dimitri sera grièvement blessé, son père, Sacha, aussi. La mère, Betty, n'a rien, elle se relève et constate le drame, elle accompagne son jeune fils transporté en urgence à l'hôpital, son mari et son autre fils seront hospitalisés dans un autre établissement. C'est l'horreur absolue pour cette famille.
Dans une première partie, on suit cette famille, au moment de l'accident et après. Les nombreux soins et opérations que devront subir Dimitri et Sacha, la mort d'Angela, son enterrement, l'émotion que cela suscite, les marches blanches. Le conducteur, P, n'a rien et a été immédiatement arrêté. Viennent alors les tonnes de questions que se posent les parents, pourquoi un tel geste, pourquoi eux, pourquoi leur fille... et la ribambelle de "et si", "et si" on était resté à la maison, "et si" on avait été à l'intérieur, "et si", "et si".... On s'imagine bien toutes les idées qui peuvent passer par la tête des parents. J'ai tout de suite ressenti beaucoup d'empathie pour eux. Je me suis mise à leur place, difficile d'imaginer un tel drame et surtout quelle aurait été ma réaction, chacun a ses propres ressources, mais je suis admirative de celles de cette famille. Ils ont su rester unis, puiser leurs forces dans chacun d'eux. L'auteur va ainsi dans un premier temps raconter toute cette période de l'après, et de l'avant procès.
Puis dans une seconde partie, vient justement le temps du procès. À ce moment là, l'auteur nous explique sa démarche, comment il en est arrivé à rencontrer cette famille. C'est en assistant au procès pour son journal qu'il a eu l'idée d'écrire un livre sur ce drame, et pour cela, il a rencontré les parents de Betty, et ils ont raconté leur enfer. Je trouve que ce drame est passé un peu trop inaperçu malheureusement. Au début, juste après le drame, il y avait des doutes de terrorisme, lorsqu'il fut prouvé que non, les journalistes ont délaissé l'affaire, la rendant presque banale. Le procès s'est déroulé juste au moment du Covid, et est presque passé inaperçu, en tout cas, je ne m'en souviens pas. C'est aussi pour ça, que je trouve important d'écrire des livres sur ces meurtres qui ne devraient pas passer inaperçus. Le procès va être un moment terrible à vivre pour toutes les personnes atteintes. Le verdict va tomber, le meurtrier va s'excuser, il essaie de se justifier, d'expliquer la journée et ce sentiment de persécution qui l'a conduit à foncer dans ce restaurant...
C'est dans la troisième partie que le livre prend une tournure plus romancée. Elle prend moins aux tripes, mais est très intéressante. Pendant le procès, l'auteur a pu voir la soeur du coupable venir chaque jour, il l'a vue noter sur un cahier noir tout ce qui se passait dans le tribunal. Cela a poussé l'auteur à vouloir en apprendre plus sur elle, sur sa relation avec son frère, sur sa façon à elle de le vivre. Malheureusement, elle a refusé d'en dire plus à l'auteur et de collaborer avec lui. C'est pour cela que cette dernière partie est beaucoup moins "réelle" que les deux autres, et plus imaginée par l'auteur. Mais bien sûr, il s'est appuyé sur ce qui a été dit au procès, et a tissé une toile autour. Il parle ainsi des relations de P avec ses parents, avec sa soeur, de son comportement. Cette partie m'a un peu moins émue. Il faut dire aussi que les émotions étaient au maximum avec les deux parties précédentes, et j'avais beaucoup de mal à trouver une émotion semblable pour le meurtrier ou sa famille. J'ai eu du mal, au début, à comprendre cette soeur qui, lorsque le juge lui demande si elle pensait que c'était un accident, lui répond oui. C'est choquant au départ, car rien ne laisse penser à cela. Ensuite, lorsqu'on découvre la vie de cette famille, de ce frère et de cette soeur, j'ai compris pourquoi elle pensait que c'était un accident pour elle. L'auteur a très bien démontré cela, la fiction rejoint très bien la réalité.
Je comprends tout à fait ce qu'a voulu présenter l'auteur. La construction qu'il a donnée à son roman est très habile. Il dresse trois portraits, les victimes, le meurtrier, la famille du meurtrier. Comme trois entités touchées par le même crime, mais aux conséquences différentes. Il ne cherche nullement à trouver des circonstances atténuantes au meurtrier. Par contre, il montre aussi ce qu'est la vie de la famille de celui-ci. Eux aussi, dans une autre mesure, ont leur vie bouleversée, et doivent vivre avec le fait de connaitre un meurtrier. Je n'ose imaginer. Dans les deux cas, côté victime ou côté bourreau, des vies sont sacrifiées et bouleversées. Il explique d'ailleurs très bien à la fin du livre, que ce livre aurait pu être autrement ou ne pas exister du tout si la soeur de P. avait accepté de lui parler. En brossant leur portrait, il est rentré dans une partie plus intime, et il y a vu la possibilité d'inscrire une partie de lui-même dedans. Cela a crée pour lui une sorte de liberté dans son écriture et dans son récit.
Je ressors complètement bouleversée par cette lecture. J'ai vécu des moments très forts. J'ai pu rencontrer l'auteur et discuter avec lui de son histoire. Sacha et Betty ont beaucoup de mal à comprendre pourquoi il a voulu parler de la soeur de P. Je comprends leur position, et en même temps, je me dis que l'auteur a très bien fait d'écrire ce livre, pour rendre hommage à Angela et à sa famille et aux autres blessés de ce 14 aout 2017. Pour qu'on ne les oublie pas. Ce n'est pas du voyeurisme pour moi, c'est tout le contraire. Si je n'avais pas lu ce livre, je n'aurais pas parlé d'Angela avec mes enfants, je n'aurais eu aucune pensée pour elle ou pour les autres victimes, Angela aurait eu 20 ans cette année, et c'est important de ne pas oublier.
J'ai vécu un moment de lecture très intense. Le tout est porté par une très belle plume, par un style très sobre, épuré, qui retranscrit très bien les faits, les émotions, c'est très bien écrit. L'auteur ne prend jamais partie, on reconnait la patte du journaliste. Avec un tel sujet, c'est difficile de ne pas s'enflammer et d'en faire des tonnes. L'auteur ne l'a pas fait, et c'est très appréciable. On sent tout de même ses émotions, ce n'est pas froid non plus, il a su garder cette distance que tout journaliste a par rapport à un fait. Et on ressent surtout les liens qu'il a créés avec la famille d'Angela.
Je suis contente d'avoir lu ce livre. La lecture est très addictive, j'avais envie de savoir ce qui allait se passer pour chacun. Mais en même temps, je m'accordais des pauses surtout lorsque les émotions étaient trop intenses. J'avais alors besoin de les évacuer en parlant de ce que je ressentais autour de moi. Ce livre ne peut laisser personne indifférent. Et ne doit surtout pas laisser indifférent. Le titre est très bien trouvé, c'est une phrase qu'a prononcé Betty, "On n'est plus des gens normaux", et comme cela est juste. Il y a un avant et un après, et celui-ci ne peut plus ressembler à l'autre.
Je ne peux vivement que vous recommander la lecture de ce livre, de partir à la rencontre de cette famille. On parle souvent de résilience, ce mot est parfois un peu galvaudé et employé pour n'importe quoi. Mais là, là, il a tout son droit. Cette famille a fait preuve d'une immense résilience. Je sais bien qu'ils ne liront jamais cette chronique, mais je leur adresse tout de même toute ma sympathie. Je ne les oublierai pas de sitôt, et j'aurai toujours une pensée émue pour eux et pour Angela.
Il ne me reste plus qu'à remercier Justin Morin pour tout ce qu'il m'a fait vivre pendant la lecture de son roman. Merci pour ces émotions, merci d'avoir écrit ce livre. Et je remercie également Pierre des éditions La Manufacture de Livres, pour sa confiance accordée en mon blog.
La parole de la famille d'Angela et celle de la sœur de P. se déploient sur deux territoires distincts. Entre eux s'étend une zone tampon, sorte de corridor sauvage et abandonné qui recèle sans doute ce pourquoi leur histoire m'a agrippé. Tout au long de son exploration, réelle ou fictive, je n'ai fait qu'effleurer la paroi d'un mur à l'abri duquel sommeille une peur archaïque. C'est ainsi que je me la représente : à l'affût, diffusant son aura, toujours prête à surgir.
Rien ne s'oppose à la perte, à l'absence, à ce qui disparait avec le temps, parfois sans nous prévenir. Des proches et des lieux, comme des souvenirs.
J'ai transporté et je transporterai toute ma vie quelque chose qui leur appartient, quelque chose de précieux. Ecrire sur ce qu'il m'ont confié, c'était tenter d'en être digne, toujours, pour à l'arrivé ne pas l'être tout à fait. Rien ne pourra leur épargner la peine causée par la coexistence de leur récit avec un autre, ennemi par nature et haï par besoin, par nécessité de survie.
On n'écrit pas avec, mais contre les faits
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On n'est plus des gens normaux - Justin Morin
Autour d'un drame, un roman qui renverse les règles entre fiction et réalité.
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