La féerie quotidienne selon Berthe Morisot de Sylvie Patin
Publié aux Ateliers Henry Dougier
Résumé :
Apparu dès la première exposition impressionniste de 1874, Le Berceau est une scène intime qui a été inspirée à Berthe Morisot par sa sœur Edma contemplant sa fille Blanche. Mais les yeux et le pinceau de l'artiste ont transfiguré ce moment " banal " de la vie de tous les jours en une maternité intemporelle : un nouveau-né endormi veillé par sa mère.
" Féerie, oui, quotidienne... " écrivait avec justesse Mallarmé à propos de l'art de Berthe Morisot.
Imaginons qu'un soir, après la fermeture du musée d'Orsay, Edma s'échappe du tableau pour nous aider à mieux comprendre la signification du Berceau en nous racontant la personnalité de Berthe. S'appuyant sur un échange de lettres entre sœurs (une émouvante histoire de fraternité), Edma a le pouvoir de faire renaître le passé et de ressusciter la merveilleuse époque de l'impressionnisme.
À propos de l'autrice :
Conservateur général honoraire au Musée d'Orsay, correspondant de l'Institut (Académie des beaux-arts), Sylvie Patin a étudié pendant plus d'une quarantaine d'années les collections impressionnistes du musée du Jeu de Paume transférées en 1986 au musée d'Orsay : Le Berceau y a depuis longtemps retenu son attention.
Mon Avis :
C'est le troisième livre que je lis de la collection "Le roman d'un chef-d'œuvre" de cette rentrée littéraire. C'est une collection que j'aime beaucoup. Ces livres mêlent très intimement la fiction à la réalité, chaque auteur raconte l'histoire d'un tableau célèbre ou d'une sculpture, en donnant la parole à l'artiste lui même, à un membre de sa famille, ou à un personnage de son œuvre. Ce sont à chaque fois des lectures très enrichissantes, les auteurs abordent les sujets avec beaucoup de simplicité, ils mettent à la portée de tous des artistes en racontant leur vie et leurs réalisations. Après, Gustave Caillebotte, Georges de La Tour, voilà que je découvre Berthe Morisot.
Je ne connaissais pas cette artiste peintre avant de commencer ce livre, et pourtant j'ai déjà vu certaines de ses toiles. L'œuvre qui est mise à l'honneur ici est Le Berceau, réalisée en 1872. Sylvie Patin a eu la bonne idée de se glisser dans la peau de la jeune femme que l'on voit peinte sur le tableau. Elle a imaginé qu'une nuit, au musée où se trouve le tableau, le personnage féminin sort de sa toile et vient raconter l'histoire du tableau et de l'artiste qui l'a peint. Ce personnage est la sœur ainée de Berthe Morisot, Edma. Elles sont très fusionnelles et s'entendent très bien. Toutes deux ont très jeunes du talent en peinture et une grande sensibilité pour l'art. Elles deviennent les élèves de Corot. Edma est très souvent la modèle de Berthe. Leurs toiles seront exposées. Puis, Berthe rencontrera Edouard Manet, pour qui elle posera pour son œuvre "Le balcon". Elle va rencontrer par l'intermédiaire de ce peintre, Degas. Edma se marie et laissé de côté la peinture, les deux sœurs sont séparées mais continuent de s'écrire et de se voir. C'est ainsi que Berthe peindra le tableau du Berceau, où Edma figure avec son bébé. Edma va continuer de raconter la vie de sa sœur, son appartenance au groupe des Impressionnistes, son mariage avec Eugène Manet, le frère d'Édouard, ses rencontres avec Renoir, Mallarmé, Monet. Berthe a eu une vie très riche et très intéressante. Avec Eugène, elle aura une fille, Julie, le lien entre les deux femmes sera très fort.
Quelle jolie rencontre que celle avec Berthe Morisot ou Mme Eugène Manet. Comme à chaque fois lorsque je lis ce genre de livres, je me rends sur le net pour voir les tableaux dont il est fait mention. Et je suis tombée sous le charme des peintures de cette artiste. Avant de lire plus le livre, je trouvais une ressemblance dans son style avec celui de Monet, qui est un de mes peintres favori. J'ai mieux compris pourquoi lorsque j'ai lu sa vie, en apprenant qu'elle faisait partie du même courant de peintres, les Impressionnistes. Le tableau du Berceau qui est ici mis à l'honneur est tellement beau, d'une extrême finesse, plein de détails et de légèreté. Le voile du berceau, tout en transparence, où l'on voit le bébé, bordé d'un galon rose, et qui se mélange avec le voile du rideau à l'arrière. La différence de couleur entre la tenue de la dame et la blancheur du berceau, je trouve ça très beau, très finement réalisé, comme une photo d'un moment de vie. L'autrice explique aussi les jeux de diagonale, de triangle qui se trouvent dans les positionnements des mains, et des bras. J'ai adoré "éplucher" ainsi chaque détail de ce tableau. Et il est finement intégré au reste de la vie de Berthe Morisot. Plus je la lisais, et plus je trouvais qu'elle avait eu une chance incroyable de côtoyer de si grands noms de l'art et de la littérature. Elle ne le savait pas à ce moment-là, mais ce sont des personnes qui traversent les siècles.
J'ai à nouveau appris plein de choses sur l'artiste en elle-même, sur sa famille, étroitement liée à celle des Manet, sur la vie de cette époque dans les milieux artistiques, ils s'entraidaient beaucoup entre eux. J'ai adoré croiser de grands noms d'artistes que j'apprécie, j'ai découvert de nouvelles oeuvres d'eux, notamment celles où Berthe a été le modèle. Elle a eu une vie bien remplie, et son nom continue de résonner plus d'un siècle après sa mort. J'ai trouvé très touchant que Degas, Monet, Renoir et Mallarmé organisent une exposition posthume en 1896 des oeuvres de Berthe. Quel magnifique hommage. Comme celui que lui rend Sylvie Patin au travers de ses mots dans ce livre.
J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir la vie de cette femme artiste, la première femme impressionniste. J'ai trouvé très judicieux de faire parler sa soeur, le récit est encore plus touchant et émouvant, je me suis retrouvée projetée aux côtés de Berthe. Le style de Sylvie Patin est très fluide, elle met l'art à la portée de tous avec ce genre de récit. Et c'est quelque chose de tellement bien, surtout pour ceux, comme moi, qui habitent loin des grands musées où sont exposés les tableaux des grands peintres. Les oeuvres de Berthe Morisot sont au Musée d'Orsay. Mais pour ceux que ça intéresse, une exposition a lieu en ce moment jusque fin septembre à Nice, à l'occasion des 150 ans de l'impressionnisme. C'est encore loin pour moi, mais ce doit être très intéressant.
J'aimerais également souligner tout le travail qu'a dû faire l'autrice en amont de l'écriture de ce livre. Tout est bien détaillé et très précis, il y a de nombreuses références à d'autres artistes, ou des écrivains. Cela donne un ensemble très riche et très intéressant à lire. Elle donne ses sources en fin de livre, qui sont très inspirantes, car j'aimerais beaucoup continuer à découvrir Berthe Morisot. Il y a également en fin de livre, une partie qui s'appelle "Regards croisés" où sont retranscrits des extraits de textes d'auteurs consacrés à la peintre. Il y a des textes de sa fille, Julie Manet, de ses amis Henri de Régnier ou Mallarmé, et j'ai trouvé aussi de nombreux extraits de Paul Valéry. Ce qui se comprend aussi car il s'est marié à la nièce de Berthe. Le monde était petit à cette époque, mais comme il fut riche.. J'aime beaucoup cette partie où on découvre l'artiste peintre au travers des yeux d'autres écrivains, journalistes ou artistes. Cela permet d'avoir plusieurs avis ou tout du moins visions du travail de l'artiste.
Ce livre se lit très bien et très facilement, il fait une centaine de pages, il est surtout tellement intéressant qu'il se lit très vite. J'étais posée dans la peau d'Edma, aux côtés de Berthe, et je la regardais vivre, peindre. C'était un moment très fort de lecture. Je ne peux, à nouveau, que vous conseiller les livres de cette collection, j'ai à chaque fois fait de très belles découvertes, je me suis enrichie à chaque fois de nouvelles connaissances, de nouvelles histoires sur des tableaux très intéressants. Je continuerai de lire ces livres avec grand plaisir. Et surtout si, en plus, ils sont signés par Sylvie Patin.
À noter également la beauté du livre. Il comporte des rabats intérieurs où sont repris des détails du tableau. Et là, le rabat de la fin, c'est une autre toile, un portrait de Berthe en train de peindre, fait par sa soeur Edma en 1865. On peut y voir toute la concentration de l'artiste, sa façon de tenir son pinceau, son oeil qui scrute un sujet. J'ai trouvé ce tableau très beau également.
Il ne me reste plus qu'à remercier Sylvie Patin pour cette très bonne lecture et de m'avoir permis ainsi de découvrir cette très belle artiste. Et un grand merci à Sabine des Ateliers Henry Dougier pour sa confiance renouvelée en mon blog.