Presque jamais autrement de Maria Matios
Publié aux éditions Bleu et Jaune
Résumé :
Presque jamais autrement est une saga familiale qui se déroule dans les Carpates ukrainiennes au début du XXe siècle. Elle met en exergue les grandes passions des gens ordinaires, avec en arrière-plan le destin d’un territoire martyrisé par les guerres et les dominations successives.
Dans un style remarquable, entretissant magistralement les fils narratifs, Maria Matios livre un récit, souvent cruel, où les frères s’entretuent pour de maigres parcelles de terre, où des femmes téméraires défient, sans toujours la contester, la loi d’hommes parfois vertueux et courageux, parfois lâches et impuissants, et où la sorcellerie semble exercer un pouvoir réel.
Prix du livre de l’année en Ukraine.
À propos de l'autrice :
Née le 19 décembre 1959 dans le village de Roztoky, à l'ouest de l'Ukraine est une femme de lettres et une poétesse. Elle est diplômée en lettres de l'Université nationale de Tchernivtsi. Elle vit et travaille à Kiev. Daroussia la douce est son premier livre traduit en français (Gallimard, 2015).
Mon Avis :
Je continue de découvrir les éditions Bleu et Jaune avec ce roman qui a obtenu le prix de l'année 2007 en Ukraine. Avec ce qu'il se passe en ce moment dans ce pays en guerre, je trouvais pour moi important de mettre à l'honneur une autrice venue de ce pays. Maria Matios est Ukrainienne, issue d'une famille houtsoule, elle compte parmi les cent femmes les plus influentes de son pays. Je peux déjà vous dire que je suis conquise par sa plume, j'ai beaucoup aimé ce livre.
C'est très dur de résumer cette histoire, elle parle de sujets universels que l'on retrouve dans d'autres romans et dans d'autres pays. L'amour, la trahison, la famille, la vengeance, le déchirement d'une famille, tous les lecteurs ont déjà rencontré ces sujets dans leurs lectures. Ce qui est particulier ici, c'est l'endroit où cela se passe, qui donne une autre dimension aux faits.
Le livre est composé de trois parties, qui forment trois nouvelles. Dans chacune, on suit des personnages différents, tous reliés entre eux, tous vivants au même endroit. Dans la première partie, j'ai fait la connaissance de la famille Tcheviouk, on est à Tyssova Rivnia, dans les Carpates Ukrainiennes, avec un peuple Houtsoule. Dans cette famille, il y a le père et la mère, Kyrylo et Vassylyna, et les quatre fils, Pavlo, Andriy, Oksentiy et Dmytryk. On est juste après la première guerre mondiale. Pavlo est marié à Dotsia. Le plus jeune, Dmytryk, est mort. Celui-ci est allé aider la voisine, Petrounia Varvatchouk, pendant que son mari Ivan est à la guerre. On apprendra très vite comment et pourquoi Dmytryk est mort, c'est Dotsia qui s'occupera de lui jusqu'à sa mort... Je ne peux en dire plus, il faut juste savoir qu'il va être question de trahison au sein de la fratrie. Dans la seconde partie, c'est l'histoire de Petrounia qui nous est raconté. Comment son père la marie à Ivan, bien plus vieux qu'elle. Cela permet de mieux comprendre cette jeune femme et ce qu'elle subit avec ce mari qu'elle n'aime pas. Mais elle n'a pas le droit à la parole. Et enfin dans la troisième partie, il va s'agir de Marynka la pieuse, amoureuse de Kyrylo Tcheviouk avant son mariage, elle a des visions et arrive à deviner les événements avant qu'ils ne se passent. On suit également Théophila, l'épouse de Hrytsko Keyvan, un personnage qui a son importance dans les faits. L'histoire de cette femme va permettre de comprendre les gestes des uns et des autres.
Ces trois parties sont reliées entre elles et tournent toutes autour du drame du début. Elles forment un tout, et permettent de mieux fouiller la psychologie des personnages. On est en milieu rural, avec des traditions et des croyances fortes, où les femmes doivent se taire, mais savent se rebiffer, ce qui ne plait pas à leurs hommes, où les paysans se font la guerre pour de maigres parcelles de terre, où des frères s'entretuent par jalousie. L'autrice dépeint à la perfection cette Ukraine rurale et ancestrale, avec une ambiance parfois surréaliste, où les faits eux, sont très concrets. Elle décrit aussi très bien ses personnages, leurs caractères, leurs mentalités. Elle parle très bien de tous ces sentiments humains comme la jalousie, la colère, l'amour, la trahison, avec des hommes dont l'honneur est si important qu'ils en sacrifient femme et enfants. La vengeance se transmet de famille en famille, de génération en génération, elle fait partie de tous les humains, qu'importe la nationalité. J'ai trouvé qu'ici elle prenait une autre dimension dans ce pays d'après guerre, pauvre et simple.
J'ai beaucoup aimé ce livre, j'ai été très émue par l'histoire de ces familles. Je me suis laissée bercer par la poésie des mots de l'autrice. Elle a laissé des mots en ukrainien qu'elle explique dans un lexique à la fin du livre, j'ai beaucoup aimé cela, cela donne encore plus d'originalité au texte, et c'est encore plus immersif. Le style est très bon, une belle fluidité qui fait que la lecture se fait sans heurts, l'histoire se déroule, mon attention a été captée dès le début, et n'a pas faibli tout au long des pages. Lorsque je commençais une nouvelle partie, je me demandais ce que le nouveau personnage présenté allait amener à la partie précédente. Et cela crée un certain suspense et rend le texte addictif. J'ai beaucoup aimé cette construction originale, elle aussi. Il n'y a pas de chapitres, par contre, certains paragraphes commencent en lettres majuscules, ce qui marque une sorte de sous-partie.
C'est une histoire que je n'oublierai pas de sitôt, très bien menée par l'autrice. Je ne voudrais pas finir cette chronique sans parler de la traduction, faite par Nikol Dziub. C'est le premier livre dont elle signe seule la traduction, j'ai trouvé qu'elle retranscrivait très bien l'ambiance du village, et le fait de laisser des mots dans la langue originale est encore plus immersif. Ce livre est une sorte de saga familiale, avec des personnages forts et hauts en couleur, des personnages inoubliables. J'ai passé un très bon moment avec ce livre. La couverture montre une balançoire, celle-ci a un rôle très important à un moment du livre, et je vous le laisserais le découvrir.
Pour conclure, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce livre, qui a été pour moi un véritable dépaysement. J'ai plongé dans cette culture ukrainienne, j'ai beaucoup aimé découvrir Maria Matios, que j'aimerais beaucoup lire à nouveau. Je pense que je lirai son premier roman traduit, Daroussia la douce. Je ne peux que vous recommander ce roman si vous avez envie de changer de lieux dans vos lectures, tout en retrouvant une famille qui pourrait ressembler à n'importe quelle famille...
Il ne me reste plus qu'à remercier Maria Matios pour ce très bon moment passé en sa compagnie et celle de ses personnages. Un grand merci également aux éditions Bleu et Jaune pour cette belle découverte.