La sentence de Louise Erdrich
Publié aux éditions Albin Michel
Résumé :
« Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme "sentence" que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà. »
Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, est embauchée par une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Jusqu’à ce que l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, ne vienne hanter les rayonnages, mettant Tookie face à ses propres démons, dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd, alors qu’une pandémie a mis le monde à l’arrêt...
À propos de l'autrice :
Née dans le Dakota en 1954, Louise Erdrich est, avec Sherman Alexie, l'une des grandes voix de la nouvelle littérature indienne d'outre-Atlantique. Si elle écrit, c'est pour réinventer la mémoire déchirée de ces communautés qui, aux confins des États-Unis, vivent sur les décombres d'un passé mythique. Mais l'auteur de L'Épouse antilope n'est pas seulement une ravaudeuse de légendes. Elle sait aussi marcher sur les brisées de ses illustres aînés, Faulkner ou Toni Morrison.
En 2023, elle remporte le prix Femina étranger pour La sentence.
Mon Avis :
J'ai découvert Louise Erdrich avec son roman "La rose", j'avais été conquise alors par sa plume et par le récit. Louise Erdrich est une autrice américaine d'origine indienne, elle raconte dans ses romans la vie de son peuple, leurs légendes, leurs racines, que ce soit dans le passé ou au présent.
Ici, dans ce livre, j'ai fait la connaissance de Tookie, d'origine amérindienne. C'est une gentille personne Tookie. Elle rend personne à des amies en acceptant de déplacer un homme mort. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que de la drogue était cachée sur ce corps. Et voilà Tookie arrêtée et emprisonnée. Pendant sa vie en prison, une ancienne professeure lui envoie un dictionnaire qui sera alors un moyen pour Tookie de s'évader intellectuellement et de mieux supporter ses années enfermée. Condamnée à 60 ans de prison, elle sortira bien avant, heureusement pour elle. À sa sortie, elle est embauchée dans une librairie, la lecture est devenue une passion pour elle, elle s'épanouit dans ce travail. Elle s'est mariée avec Pollux, le policier qui l'a arrêtée, celui-ci a une grande fille, avec laquelle Tookie essaie de tout faire pour s'entendre au mieux. Tout se passe bien pour Tookie, jusqu'au décès d'une fidèle cliente, Flora. Tookie est persuadée que son âme hante la librairie, elle l'entend marcher, des livres tombent seuls, elle se demande ce qu'il peut bien se passer pour l'âme de Flora pour qu'elle vienne hanter les murs de la librairie.
À ce moment de l'histoire, j'avoue avoir eu peur que le surnaturel prenne beaucoup de place dans le récit, et que l'autrice ne parle que de ça. Mais je me suis totalement trompée. Le fantôme de Flora aura la même place dans l'histoire que les autres amies de Tookie, comme si c'était naturel de parler avec un fantôme. Bien sûr, avec les origines amérindiennes, tout prend une autre dimension, mais cela ne m'a pas dérangée plus que cela, j'ai trouvé que cela s'imbriquait très bien dans le reste de l'histoire. On continue de suivre Tookie dans sa vie de tous les jours, entre son travail, ses relations avec des clients parfois pas faciles, ou avec ses collègues, on la suit aussi dans sa vie privée avec Pollux, la fille de celui-ci, Hetta, qui va devenir maman, Tookie fond littéralement pour ce petit-fils d'adoption, elle qui n'a pas connu les joies de la maternité. J'ai beaucoup aimé suivre cette femme qui essaie de se faire une place entre ses origines et sa vie de tous les jours.
L'histoire se passe de nos jours, dans les années 2020. Il était tout naturel que l'autrice parle donc du Covid, cela ne peut pas être autrement, par rapport au travail de Tookie. Les confinements successifs ont tout de même bouleversé les vies, la fermeture de la librairie, puis la réouverture en magasin dit essentiel. C'est un événement qu'on ne peut éviter dans un livre qui se passe dans ces années là. J'ai trouvé que l'autrice le faisait le plus naturellement possible, et cela n'alourdit nullement l'histoire. Je dis ça, car je sais que certains lecteurs ne veulent pas entendre parler de cette maladie dans les livres, mais elle a fait partie de notre histoire commune, bouleversant notre quotidien, et c'est tout à fait logique qu'elle apparaisse. Pour moi, ne pas en parler serait idiot et anachronique.
J'ai beaucoup aimé comment l'autrice ancre l'histoire de Tookie dans la vraie vie, la rendant ainsi tellement réelle. Après le Covid, va arriver un autre drame dans cette ville de Minneapolis, c'est l'assassinat de Georges Floyd, cet homme noir tué lors d'une arrestation par un policier qui lui a mis un genou dans la nuque, l'étouffant. Tout le monde se souvient de ce que cela a ébranlé la société américaine, les manifestations, les arrestations, le mouvement Black Lives Matter. C'est l'occasion pour l'autrice de parler du racisme, que connaissent bien les amérindiens, de la place de ces personnes dans la société, que les gens d'origine blanche ont tendance à mettre sur le côté. Cela me révolte à chaque fois, et je trouve important que des romans actuels parlent de ces sujets, si cela pouvait ouvrir les yeux à certains.
L'autrice a fait évoluer ses personnages dans tout ce contexte réel. C'est aussi ce qui donne la force de ce roman. Je me suis attachée à Tookie, car elle est une femme comme tout le monde, avec ses joies, ses peines, ses rêves, ses espoirs, ses envies. Je l'ai considérée comme une amie, et j'ai eu de la peine de la quitter à la fin. La narration à la première personne aide également à créer ce rapprochement. Je suis rentrée dans la tête de Tookie, j'ai vécu ses émotions, elle m'a profondément touchée. J'ai aussi beaucoup aimé les autres personnages. Hetta par exemple, est une jeune femme moderne et actuelle, qui aime son enfant, mais a peur pour son avenir. Les amies de Tookie à la librairie amènent parfois cette dose d'humour qui allège la lecture, surtout que Tookie invente parfois des mots qui sont sources de drôlerie. Même Trump y passe, avec un surnom que je ne lui connaissais pas, mais qui lui va tellement bien. Flora est aussi un personnage à part entière, on découvre petit à petit ses secrets de sa vie, et j'ai trouvé le lien entre elle et Tookie très beau. La nourriture a aussi une place particulière, il y a des moments où les patisseries faites donnaient faim. Et j'ai adoré ces moments de tendresse entre Tookie et le bébé d'Hetta, c'était très émouvant.
J'ai passé une nouvelle fois un très bon moment avec ce roman de Louise Erdrich. Cela me conforte dans mon envie de continuer à la lire. Son style est tellement beau, pas de lourdeurs dans les descriptions, elle retranscrit très bien les émotions de chacun, les décors, les lieux. Et l'histoire de ce dictionnaire m'a rappelé mon grand-père qui aimait lire une page de dictionnaire le soir avant d'aller se coucher. Le récit est dense, le rythme est lent, ce n'est pas du tout un défaut pour moi, au contraire. J'ai aimé cette lenteur, qui a permis de mieux m'imprégner des personnages et de leur histoire. Lenteur dans le rythme du récit, mais pas du tout dans la lecture, que j'ai trouvé très fluide et rapide, bizarrement. C'est le genre de livre où on a envie de rester, de ne pas quitter, où le lecteur se sent intégré au récit, en plus dans un milieu de librairie, le rêve pour moi. Le livre se construit en parties plus qu'en chapitres. Et à la fin, j'ai apprécié que l'autrice fasse la liste des livres préférés de Tookie selon leur genre, ceux sur la gestion des fantômes, ceux à lire pendant une pandémie, ceux sur les amours interdites, sur les autochtones, des romans courts parfaits. En somme, plein d'idées de romans à noter et à prendre le temps de lire. J'ai trouvé cela très original et très bien pensé. Je n'ai pas été étonnée d'apprendre que Louise Erdrich est elle-même propriétaire d'une librairie indépendante à Minneapolis, Birchbark Books, spécialisée, entre autre, dans la culture amérindienne. Ce n'est pas étonnant que sa culture livresque soit si grande et hétéroclite.
Je ne peux que vous recommander ce roman. C'est pour moi, un emprunt à ma médiathèque, mais je vais me l'acheter dès qu'il sera sorti en poche, pour l'avoir et pour pouvoir retrouver Tookie. Il a reçu le Prix Fémina Etranger en 2023 et il le mérite. Si vous ne connaissez pas encore Louise Erdrich, je ne peux que vous encourager à la lire. C'est ce que je vais continuer à faire de mon côté.