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Marie-Nel lit

La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

14 Mars 2022 , Rédigé par Marie Nel

La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

Publié aux éditions Philippe Rey

 

 

 

Résumé :

 

 

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 :

Le Labyrinthe de l'inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de " Rimbaud nègre ", depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s'engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T. C. Elimane, où il affronte les grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l'Argentine, quelle vérité l'attend au centre de ce labyrinthe ?

Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l'accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s'observent, discutent, boivent, font beaucoup l'amour, et s'interrogent sur la nécessité de la création à partir de l'exil. Il va surtout s'attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda...

D'une perpétuelle inventivité,

La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l'exigence du choix entre l'écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d'amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

 

 

 

À propos de l’auteur :

 

 

Mohamed Mbougar Sarr, né en 1990 au Sénégal, vit en France et a publié trois romans : Terre ceinte (Présence africaine, 2015, prix Ahmadou-Kourouma et Grand Prix du roman métis), Silence du chœur (Présence africaine, 2017, prix Littérature-Monde – Étonnants Voyageurs 2018), et De purs hommes (Philippe Rey/Jimsaan, 2018 et Le Livre de Poche, 2021)

 

 

 

Mon Avis :

 

 

C’est un peu un rituel pour moi chaque année de lire le roman qui reçoit le Prix Goncourt. J’avais beaucoup aimé celui de 2020, L’anomalie de Hervé le Tellier, et j’avais envie de découvrir celui-ci suite à une interview de l’auteur que j’avais trouvé alors très délicat et sensible dans ses propos. Et j’ai bien fait car j’ai retrouvé cette même sensibilité dans sa plume et dans son récit.

 

Je ne vais pas trop revenir sur le contenu de l’histoire, le résumé le fait déjà très bien, et je trouve que c’est un roman difficile à raconter et à résumer, il faut le lire pour se rendre compte par soi-même.

Tout va tourner autour d’un roman et d’un auteur disparu et mystérieux. Lorsque le personnage principal, Diegane Latyr Faye, découvre un livre paru en 1938, il tombe sous le charme de l’auteur, T.C. Elimane. Diegane est lui aussi un jeune écrivain et il veut en apprendre plus sur ce roman et son auteur, dont on n’a plus jamais entendu parler après la publication de son roman qui a été accusé de plagiat. Diegane part sur sa piste, et va nous emmener sur les traces de cet auteur, est-il mort, qu’est-il devenu, ce sont des questions que se pose le jeune Sénégalais. Il va faire des rencontres enrichissantes qui vont l’emmener dans l’Histoire avec un grand H du monde, de la France, du Sénégal, pendant la seconde guerre mondiale, après, avec toutes les horreurs que l’on a pu connaître. Il va rencontrer des femmes aux vies passionnantes et retracer ainsi, petit à petit, le chemin de vie de T.C. Elimane.

 

Suivre Diegane dans sa quête de vérité a été très enrichissant pour moi. Je me suis plongée avec lui dans l’histoire de différents pays à différentes époques. J’ai aussi suivi avec intérêt les péripéties d’un auteur qui ne trouve pas le succès auprès des éditeurs. C’est un véritable jeu de piste pendant presque un siècle d’histoire et d’événements. On y croise des auteurs, des musiciens, des artistes, des politiques, des personnages hauts en couleurs. J’avoue m’être parfois un peu perdue dans tout ce panel de personnes, je n’arrivais pas toujours à savoir qui parlait. C’est un roman choral où la parole est donnée à beaucoup de personnages. Je devais parfois revenir sur mes pas pour me rappeler qui parlait. C’est une lecture qui demande de l’attention, on ne peut pas survoler le texte, au risque de ne plus rien y comprendre. Il y a énormément de densité dans les faits, les personnages. Ils sont palpables et paraissent tellement réels.

 

L’écriture de l’auteur est dense également, poétique, sensible, imagée et parfois si dure et complexe. Parfois il décrit en quelques mots, brefs et succins, et parfois ce sont de longues phrases dont on ne voit pas le bout (j’ai ainsi relevé une phrase longue de dix pages). Cette façon d’écrire est bien particulière et fait de Mohamed Mbougar Sarr un auteur et un écrivain à part. La structure du livre est lui aussi assez étrange pour être soulignée. Il est composé de trois livres formés de quatre biographèmes et de huit parties. Au début, quand j’ai feuilleté le livre, cela m’a un peu déstabilisée et arrivée à la fin, je me suis rendue compte du chemin qu’a voulu prendre l’auteur et que cela forme un tout très bien ficelé. Ce livre m’a vraiment sortie de ma zone de confort, de part sa structure et son contenu.

 

La narration est multiple, alternant entre des passages à la troisième personne du singulier et d’autres à la première personne. On est ainsi à la fois dans la peau du personnage ou d’autres qui racontent leurs vies et leurs rencontres avec l’auteur. Je me suis ainsi retrouvé dans la tête de plusieurs personnes, et j’ai réussi à ressentir des émotions différentes selon les situations et selon les personnes concernées. Je me suis attachée à certains d’entre eux, notamment Siga, une jeune femme sénégalaise à la vie pas facile. Mon seul souci est d’avoir été parfois un peu perdue pour savoir lequel avait la parole.

 

L’auteur parle de beaucoup de sujets de société et de notre histoire, presque un siècle à travers trois continents. J’ai appris plein de choses sur la vie au Sénégal, sur leur histoire, les conflits que le peuple a connu, les répercussions sur leurs vies des guerres, de la Shoah. Pour tout cela, ce livre est vraiment très intéressant et instructif. J’ai aimé suivre Diegane dans sa recherche de vérité.

 

La lecture s’est faite sur plusieurs jours. J’avais besoin de faire des pauses, c’est une lecture qui demande de l’attention et de l’exigence. Je lisais certains passages avec une grande facilité et avec addiction, et par contre, certains autres étaient plus difficiles à lire, créant ainsi quelques longueurs, des sortes de montagnes russes au niveau attention de lecture, avec des moments forts et d’autres où je me demandais où l’auteur voulait m’emmener. Mais dans l’ensemble, cette lecture m’aura poussée dans mes retranchements. C’est intéressant de lire des romans plus compliqués, qui demandent une attention particulière.

 

Même si la lecture a été laborieuse à certains moments, je suis contente d’avoir lu ce livre. Il mérite son prix au vu de la qualité d’écriture, de l’originalité de celle-ci, de la poésie des mots. En plus, j’aime quand il est question de roman dans le roman, d’écriture, d’édition, j’en apprends encore plus sur ce milieu. Le personnage d’Elimane a été inspiré par un écrivain malien, Yambo Ouologem. Il a été le premier romancier africain à recevoir le Prix Renaudot en 1968 pour le Devoir de violence suscitant de nombreuses polémiques car il remet en cause l’Afrique célébrée par la poésie senghorienne et la Négritude. Il est accusé d’avoir plagié Graham Greene et André Schwartz-Bart, et choisit finalement de vivre en reclus. Exactement comme Elimane, mais je n’en dirais pas plus.

 

Ce livre se lit un peu comme un polar, avec une bonne dose de suspense, bien mené par Mohamed Mbougar Sarr. Il y a une scène d’amour au début du livre qui est très belle, majestueuse de poésie. L’auteur a su également mettre quelques touches d’humour, allégeant ainsi le récit et l’ambiance parfois un peu lourde.

 

Je suis contente d’avoir fait cette découverte, je pense que je relirai cet auteur pour conforter ou non mon premier avis. En tout cas, ce livre ne laisse pas indifférent et ne peut que marquer ceux qui le lisent, en bien ou en moins bien. Je ne peux que vous conseiller sa lecture, pour vous aussi découvrir cet auteur de talent.

 

Il ne me reste plus qu’à remercier Mohamed Mbougar Sarr pour tout ce qu’il m’a fait vivre pendant la lecture de son livre, même si je sais très bien qu’il ne lira jamais cet avis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les gens veulent qu'un livre parle nécessairement de quelque chose. La vérité, c'est que seul un livre médiocre ou banal ou mauvais parle de quelque chose. Un grand livre n'a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout.

L'aveugle qui a vu est plus malheureux parce qu'il vit dans le souvenir qu'il a de la beauté du monde. Mais il ne sait pas que son souvenir n'existe plus car le monde change. Il a une beauté pour chaque jour. Mais l'aveugle qui a vu est sûrement malheureux parce que le souvenir l'empêche d'imaginer. Il consacre tant d'énergie à ne pas oublier qu'il en oublie être capable de réinventer ce qu'il a vu, et d'inventer ce qu'il ne verra plus. Et un homme sans imagination, aveugle ou pas, est toujours malheureux.

Notre préoccupation profonde concerne le passé ; et tout en allant vers l'avenir, vers ce qu'on devient, c'est du passé, du mystère de ce qu'on fut, qu'on se soucie.

Avoir une blessure n'implique pas qu'on doive l'écrire. Ça ne signifie même pas qu'on songe à l'écrire. Et je ne parle pas de le pouvoir. Le temps est assassin ? Oui. Il crève en nous l'illusion que nos blessures sont uniques. Elles ne le sont pas. Aucune blessure n'est unique. Rien d'humain n'est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l'impasse ; mais c'est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître.

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