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Marie-Nel lit

La carte postale de Anne Berest

13 Octobre 2021 , Rédigé par Marie Nel

Publié aux éditions Grasset

 

 

Résumé :

 

C’était en janvier 2003.
Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de voeux, se trouvait une carte postale étrange.
Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme.
L’Opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942.
Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Avec l’aide d’un détective privé, d’un criminologue, j’ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j’ai remué ciel et terre. Et j’y suis arrivée.
Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.
J’ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages. J’ai dû m’imprégner de l’histoire de mes ancêtres, comme je l’avais fait avec ma sœur Claire pour mon livre précédent, Gabriële.
Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot « Juif » dans une vie laïque.

 

 

À propos de l'autrice :

 

Anne Berest est l’auteur de romans : La Fille de son père (Seuil, 2010), Les Patriarches (Grasset, 2012), Sagan 1954 (Stock, 2014), Recherche femme parfaite (Grasset, 2016), Gabriële, coécrit avec sa sœur Claire (Stock, 2017), de pièces de théâtre : La VisiteLes filles de nos filles (Actes Sud, 2020).
Elle a aussi écrit la série Mytho pour Arte, qui a reçu de nombreux prix, en France comme à l’étranger.
 

 

 

Mon Avis :

 

Si je devais résumer ce livre en quelques mots, ce serait tellement difficile déjà, je crois que je vous dirais tout simplement : « Lisez le ! » Oui, c’est un roman qu'il faut lire, pour le devoir de mémoire, pour ne pas oublier ce qu'il s'est passé le siècle dernier, pour que la mémoire de ceux qui sont morts soit toujours honorée. Surtout que l'humain aurait vite fait de retomber dans ces travers. Peut-être le premier réflexe que l'on pourrait avoir serait de se dire, encore un roman sur les Juifs et la Shoah, je ne pense pas cela, chaque récit est différent et nous amène un nouveau regard sur les faits. La littérature n’en aura jamais fini d’expliquer l'horreur…J’espère que je vais arriver à retranscrire dans mes mots toute l’émotion que j'ai ressentie pendant ma lecture.

 

J’ai voulu lire ce livre car le résumé m’intéressait beaucoup, avec un postulat de départ pas commun, la réception d'une carte postale avec des prénoms écrits dessus. Ensuite, c’est le nom de l'autrice qui m'a attirée, car j’ai lu Rien n'est noir de la sœur de l'autrice, Claire Berest, et j'avais tellement aimé la plume et le style de celle-ci, que j'avais très envie de découvrir ceux de sa sœur. Et je n'ai pas du tout été déçue.

Donc, pour en revenir à l'histoire, Anne Berest va nous raconter l'histoire de sa famille. En janvier 2003, sa mère reçoit dans sa boîte aux lettres une carte postale avec quatre prénoms dessus, juste quatre prénoms, cette carte représente l’Opéra Garnier, et a été postée à Paris. Elle est anonyme, n'est pas signée. Vingt ans plus tard, après un incident à l'école de sa fille, Anne décide d'en apprendre plus sur cette carte, de savoir qui sont ces prénoms, qui a donc pu envoyer cette carte et pourquoi surtout. Elle ne connait pas ces prénoms, elle sait très peu de choses sur sa famille. Avec l'aide de sa mère, qui avait déjà fait des recherches, elle va remonter le fil du temps et revenir sur les traces de ses ancêtres.

Les prénoms sont ceux de ses arrière-grands-parents, sa grand-tante et son grand-oncle du côté de la branche maternelle. Ephraïm et Emma Rabinovitch sont Russes, ils ont trois enfants, Myriam, Noémie et Jacques. Ils vont devoir fuir la Russie, rejoindre la Lettonie pour ensuite rejoindre les parents de Ephraïm en Palestine. Ils ne s’arrêteront pas là, Ephraïm ne se sent pas en sécurité et veut rejoindre son frère en France. La famille arrive ainsi à Paris. Mais on est malheureusement au moment où Hitler prend le pouvoir, envahit la Pologne, où les parents d’Emma réside. Pas besoin d'en rajouter beaucoup plus, la guerre va éclater et avec elle toutes les horreurs que l'on connaît. Ephraïm et Emma ne pensent pas être en danger. Personne ne se rend compte à ce moment là des horreurs qu'il se passe dans les camps en Allemagne. Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques seront déportés à Auschwitz d’où ils ne reviendront pas. Myriam a échappé au désastre. Anne Berest va chercher, à l'aide d'un détective privé et d'un criminologue, pourquoi Myriam a échappé aux camps, et comprendre ce qu'elle a vécu.

Anne Berest va remonter le temps, aller à la découverte de son histoire. Elle va suivre Myriam dans sa vie mouvementée, on va voir comment elle va quitter la zone occupée pour passer en zone libre, son mariage avec le fils d'un peintre, Francis Picabia. D'ailleurs, à ce sujet, la mère de Vicente Picabia n'est autre que Gabriële, personnage féminin haut en couleurs, sur laquelle Anne et sa sœur Claire ont écrit un roman qui retrace sa vie. Myriam ne saura pas ce qui est arrivé à sa famille, elle ne l'apprendra qu’après la guerre, aura beaucoup de mal à y croire. À la fin de la guerre, on ne parle pas de ce qui est arrivé dans les camps, il y a une certaine honte, ceux qui sont rescapés se demandent pourquoi eux ils sont en vie et s'en sont sortis, ils ressentent une certaine culpabilité. On ne parlera vraiment que des camps et de l'extermination des Juifs que dans les années 1980 avec les Klarsfeld qui vont retourner ciel et terre pour que tout puisse enfin être révélé au grand jour. La mère d'Anne Berest a pu accéder aux archives qu'à partir des années 2000. Il y a eu une chape de silence autour de cette extermination d'un peuple, c’est honteux quand on pense à notre époque, mais c’est vrai que cela se comprend aussi dans ces années après-guerre. Tout était misé  sur la reconstruction du pays et de la paix. Et donc on comprend mieux le silence de Myriam. Anne se souvient de vacances chez sa grand-mère, dans le sud de la France, jamais celle-ci ne lui racontera quoique ce soit au sujet de ce qu'elle a vécu. Anne et sa mère Lélia découvriront tout bien plus tard. Quand on devient adulte, ou qu'on devient parent à son tour, on a envie de connaitre nos racines. En plus, Anne va se rendre compte des analogies entre elle et sa sœur et Myriam et Noémie. C’est troublant. Et bien sûr, elle cherche et trouvera l'auteur de la carte postale. Je ne m'attendais pas à cette révélation, mais je la comprends. Je ne peux vraiment pas en dire plus, il vous faudra lire ce livre pour le savoir.

 

J'ai adoré ce roman, à coup sûr un gros coup de cœur. J'ai été émue très souvent, difficile de faire autrement face à ce que va vivre la famille Rabinovitch. Émue aussi par Anne qui découvre ses origines juives. Émue par tout ce qu'a pu vivre ce peuple. J'ai beaucoup aimé la façon dont l'autrice raconte tout cela. Elle écrit très bien, avec un style parfait, elle parle d'elle, elle se fond dans la narratrice, elle nous transmet son émotion, et transmet aussi celle de sa grand-mère Myriam. Malgré la noirceur des faits, ce récit est lumineux et très profond. Le livre est séparé en quatre parties, où on suit déjà l'histoire de Ephraïm et Emma, une autre partie où l’accent est porté plus sur Anne et ses recherches, une partie composée d'un échange de lettres, et la dernière partie où on est avec Myriam, au milieu et après la guerre.

J'ai suivi avec un grand intérêt la vie de cette famille. L'autrice en parle avec beaucoup de délicatesse, de sensibilité et de pudeur. Elle ne fait pas dans le pathos et pourtant elle aurait pu vu le sujet. Elle rapporte les faits avec beaucoup de justesse, elle est très bien arrivée à se mettre à la place de ses ancêtres, de sa grand-mère. Elle a réussi à retranscrire au plus près les émotions et les sentiments qui ont pu traverser ces personnages devant tant de drames. Son écrit est aussi rempli d'espoir, l'autrice a su montrer les petits points positifs, les petites choses de la vie qui font du bien, même dans la noirceur la plus complète. Tout cela montre le travail qu'elle a dû mener en amont pour être aussi près des événements. Dans ses remerciements, elle dit que les recherches faites par sa mère l'ont beaucoup aidée. Ce livre est une très belle transmission entre les femmes d'une même famille.

 

Je découvrais donc Anne Berest avec ce roman. J'ai eu le plaisir de la rencontrer lors du salon du livre de Besançon, début septembre, elle est le reflet de son livre, toute en pudeur et très sensible, et maintenant que j’ai lu ce livre, j'aurais envie de la revoir pour lui poser encore plein de questions, comment elle se sent elle maintenant qu'elle connait ses racines. Je trouve cela tellement important de savoir d’où l’on vient. J’étais séduite par le roman de sa sœur Claire, je suis conquise par Anne aussi, quelle jolie fratrie. Depuis, je me suis procurée le roman qu'elles ont écrit toutes les deux sur leur arrière-grand-mère Gabriële, titre du livre, que je vais lire, pour en apprendre plus sur elle, j'ai aimé la personne qu'elle est, de ce que j'en ai aperçu dans ce roman, j'ai donc très envie de mieux connaître sa vie avec un artiste. En plus, elle a habité dans un village proche de chez moi...je suis toujours très sensible à ces synchronicités de la vie.

 

J’espère avoir réussi à vous transmettre toute l'émotion ressentie à la lecture de ce roman. Je l'ai dégusté sur plusieurs jours, je faisais des pauses, pas parce que je m'ennuyais, mais plutôt pour digérer les informations et pour aussi pouvoir rester plus longtemps avec Anne et sa famille. Et en même temps, j'avais envie d’accélérer ma lecture pour savoir qui avait écrit cette fameuse carte. Un certain  suspense s'installe et en tant que lectrice, j'avais hâte de connaitre l’identité.

 

Une lecture très prenante, très sensible, très belle, que je vous recommande, pour ne pas oublier ces personnes mortes pour une idéologie idiote, pour le devoir de mémoire, pour rendre hommage à tout ce monde qui a perdu la vie ou qui a été blessé. Une histoire que je n'oublierai pas de sitôt, une autrice que je vais continuer de suivre de près, je vais lire ses précédents romans et rester à l’affût de ses prochaines parutions. N’hésitez vraiment pas à rencontrer Ephraïm, Emma, Myriam, Noémie, Jacques, Lélia, Vicente, Yves, Anne, Claire…ils ont tellement à nous dire…quel fabuleux hommage Anne Berest a rendu à eux avec ce roman.

 

Je remercie chaleureusement Anne Berest pour tout ce qu'elle m'a fait vivre pendant la lecture de son roman, j’espère la rencontrer à nouveau pour discuter avec elle. Et je remercie également les éditions Grasset pour ces romans d'une grande qualité.

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