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Marie-Nel lit

Enfant de salaud de Sorj Chalandon

22 Septembre 2021 , Rédigé par Marie Nel

Enfant de salaud de Sorj Chalandon

Publié aux éditions Grasset

 

 

Résumé :

 

Un jour, grand-père m'a dit que j'étais un enfant de salaud.

Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t'a accompagné partout. Ce n’est pas ça, un salaud. Ni à cause des rôles que tu as endossés : SS de pacotille, patriote d'occasion, résistant de composition, qui a sauvé des Français pour recueillir leurs applaudissements. La saloperie n'a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure.

Non. Le salaud, c’est l'homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s'est fourvoyé dans tous les pièges en se croyant plus fort que tous : les nazis qui l'ont interrogé, les partisans qui l'ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste. Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes.

Le salaud, c’est le père qui m'a trahi.

 

 

À propos de l'auteur :

 

Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est l’auteur de neuf romans et Enfant de salaud sera le dixième, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon traître (2008), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011, Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013, prix Goncourt des lycéens), Profession du père (2015), Le Jour d’avant (2017) et Une joie féroce (2019).

 

 

Mon Avis :

 

Sorj Chalandon est un auteur que j'ai découvert avec son précédent roman, Une joie féroce, une histoire de femmes, qui m'avait beaucoup touchée. J'avais donc envie de le lire à nouveau, et le thème de ce nouveau roman m'avait interpellée et j'avais très envie de savoir comment l'auteur parlait de son père.

 

Le titre est fort.  « Enfant de salaud », c’est ce que le grand-père de Sorj Chalandon lui dira un jour, en parlant du père de Sorj et donc de son propre fils. Et en ajoutant que son père avait été vu portant l'uniforme allemand. Ce petit-fils qui a été bercé toute son enfance par les exploits héroïques de son père résistant, tombe de haut. Il va donc partir à la recherche de la vérité sur son père.

 

Le livre commence avec la visite de l'auteur de la maison qui a abrité les enfants à Isieu, dans l’Ain, des enfants confiés par les parents persécutés, de différentes nationalités, mais tous juifs. Ils sont 44 enfants, de 7 à 17 ans, à avoir été arrêtés avec 7 adultes, emmenés dans un premier temps au camp de Drancy, puis déportés au camp d'Auschwitz où aucun enfant ne survivra. Sorj Chalandon revient sur les lieux, dans la maison, visite la salle de classe, il reste des pupitres, des dessins…on est en avril 1987, un mois plus tard doit commencer le procès de Klaus Barbie, celui qui a ordonné la rafle d’Isieu, entre autres méfaits, tortures et arrestations. Sorj Chalandon est journaliste et doit couvrir le reportage pour son journal. Son père lui demande s'il peut assister aux débats.

En même temps que ce procès, l'auteur va mener une autre enquête, bien plus personnelle. Il apprend que le dossier judiciaire de son père se trouve aux archives départementales du Nord où trois ans de la vie d’un «  collabo  » sont racontées grâce aux procès-verbaux de police, aux interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation. Grâce à un ami historien, il arrivera à avoir entre les mains ce dossier, et ce qu’il va y découvrir est complètement différent de ce que son père lui a raconté toutes ces années. Il a porté cinq uniformes différents en quatre ans. Il a été quatre fois déserteur de quatre armées différentes. Il a porté  le brassard à croix gammée, et se sentant patriote ensuite, il porte la croix de Lorraine.
En décembre 1944, il est recherché des deux côtés. Et son fils découvre que son père n'a pas du tout été au combat pour la libération, mais qu'à ce moment là, il se trouvait en prison, pour traîtrise. En lisant ces rapports, il se rend compte que tout ce que son père lui a raconté enfant n'est qu'un tissu de mensonge. Il va aussi découvrir par son grand-père que son père bernait déjà son monde en étant adolescent.

 

Sorj Chalandon va donc suivre deux procès, celui de Barbie, avec des témoignages poignants et douloureux, et celui de son père, au travers du dossier. Il se confrontera alors à lui, cherchant en vain à lui faire reconnaître la vérité. Et Sorj se rendra compte qu'il est vraiment un enfant de salaud, mais c’est son père, difficile de le détester…

 

Ce livre est bouleversant. Je l'ai fini avec une boule d'angoisse dans la gorge que je ressens encore maintenant en écrivant cette chronique. J'ai été doublement touchée. Déjà par le récit du procès de Barbie, je me souviens l'avoir suivi, je n’étais alors qu'une adolescente, je n'ai alors pas porté le même regard dessus, à cet âge là, on pense toujours que ce qu’on vit est plus grave que ce qui se passe dans l’actualité. J'ai donc fait des découvertes dans ce livre, sur les faits reprochés à Barbie, sur les tortures qu'il a commises sur des personnes, et surtout sur le courage de tous ces gens qui ont subi la hargne et la férocité de ce bourreau. Leurs témoignages sont forts et bouleversants, j’ai apprécié que l'auteur les révèle dans leur entièreté.

 

Ensuite, j'ai aussi été fortement touchée par le récit plus intime de l'auteur sur la vie de son père, et sur ce qu'il découvre sur lui. Il va de révélations en révélations, son père est un grand manipulateur, un affabulateur. Je me disais, quand les enfants sont petits, les parents en rajoutent toujours un peu pour les émerveiller, mais une fois qu'ils sont adultes, plus besoin, l'important c’est la vérité. Et la façon dont le père nie tout ce qui lui est reproché, allant même jusqu’à dire que son fils a fabriqué tous les papiers, les pièces d’identité, etc, il faut quand même être sacrément perturbé. Et en même temps, ce père me fait de la peine. Quel manque, quel besoin peut-il ressentir pour être obligé de mentir ainsi ! Je ne l'excuse pas du tout. Car il est quand même très déstabilisant quand, pendant le procès de Barbie, il prend position pour lui, ou montre de l'admiration face aux propos de Jacques Vergès, l'avocat de Barbie.

 

Je connais personnellement des personnes comme le père de Sorj Chalandon,  dans ma famille proche, je suis sure que si elles étaient adultes pendant la guerre, j'aurais eu le droit au même genre d'exploits. Ce sont des personnes négatives et perturbantes, mais quand ce sont des proches, comme un père, ce doit être encore plus déstabilisant. Je me mets à la place de l'auteur et cela ne doit pas être facile tous les jours de vivre avec cela. Son père est décédé depuis, c’est avec le confinement en 2020, qu'il décidera d’écrire ce roman. Il a déjà écrit un roman sur son père en 2015, Profession  du père, où il parle déjà de ce père qui lui raconte des histoire sur les métiers qu'il a exercés et qui changent chaque jour. Je n'ai pas lu ce livre, mais je vais très certainement le faire, car c’est un sujet qui me touche beaucoup et profondément. Sorj Chalandon dit de son père qu'il était son héros, qu'il voulait l’éblouir, mais qu'il l'a aveuglé.

 

L’écriture de Sorj Chalandon est belle, sensible, vraie, dénuée de toutes fioritures. Il ne mâche pas ses mots, il rapporte avec beaucoup d’authenticité les faits du procès Barbie, ce qui est glaçant, perturbant, mais c’est ce qu'il faut aussi. Il ne faut pas édulcorer ce genre de récit, il faut que les mots portent et fassent se rendre compte au lecteur de l'horreur des faits pendant cette guerre. Ce genre de récit est nécessaire, très utile et devrait être lu par tellement de personnes.

Sorj Chalandon arrive très bien à nous faire ressentir toutes les émotions. J'ai eu le plaisir de le rencontrer lors d'un salon du livre à Besançon, il m'a dit de préparer mes mouchoirs au moment de la fin, mais je les ai eus avec moi tout le long. J'ai été triste pour lui, pour les personnes torturées par Barbie, j'ai été révolté aussi par le comportement de ce dernier, par les mots de son avocat…bref, une multitude de sentiments qui font de ce livre un livre très fort. J’ai dit à l'auteur que je ne savais pas comment j’allais pouvoir écrire un avis, je ne sais pas si j'ai réussi à trouver les bons mots pour vous expliquer tout ce que j'ai ressenti. Lorsqu’il m'a demandé ce que je pensais de son roman, je n'ai su que lui dire « Pfiouu », la honte pour moi, mais ça l'a fait rire. J'avais, et j'ai encore, beaucoup de mal à trouver un mot résumant ma lecture, sauf ce Pfiouu..

 

Je vais m’arrêter là, je pourrais vous en parler encore pendant des heures. Je ne peux que vous conseiller ce livre, bien sûr, et aussi de découvrir Sorj Chalandon si vous ne le connaissez pas encore. C’est un grand journaliste, avec une très belle carrière, et il reste très accessible, très humain. Ce récit montre surtout la douleur d'un enfant qui cherche à se libérer et à libérer son père de l'emprise du mensonge. Je vous laisse avec une citation qui je trouve résume très bien la pensée de l'auteur :

 

« Oui je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre (…). Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité. (…) Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. »

 

Je tiens à remercier chaleureusement Sorj Chalandon pour tout ce qu'il m'a fait vivre pendant cette lecture, pour sa gentillesse, son humilité. Je vais continuer à le lire, et j’espère le rencontrer à nouveau.

 

Je remercie également les éditions Grasset qui m'ont permis de lire ce roman grâce à un service presse.

 

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