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Marie-Nel lit

Fille de Camille Laurens

22 Mars 2021 , Rédigé par Marie Nel

Fille de Camille Laurens

Publié aux éditions Gallimard

 

 

Résumé :

 

FILLE, nom féminin 1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère. 2. Enfant de sexe féminin. 3. (Vieilli.) Femme non mariée. 4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa soeur dans les années 1960 à Rouen. "Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. - Non, j'ai deux filles" , répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c'est toujours mieux qu'une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Etre une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

 L'écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les 2mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l'importance des mots dans la construction d'une vie.

 

 

À propos de l’auteure :

 

 

Agrégée de lettres, Camille Laurens a enseigné en Normandie puis au Maroc, où elle a passé douze ans. Elle vit maintenant dans le sud de la France. Son premier livre, Index, est publié en 1991. Il est rapidement suivi par RomanceLes Travaux d’Hercule et L’Avenir. Les quatre romans forment une quadrilogie. Mais le grand public la découvre en 1995, date à laquelle elle publie Philippe, qui raconte la mort de son enfant nouveau-né. Ce livre autobiographique écrit dans la douleur est unanimement salué. Cette oeuvre marque un tournant dans la carrière de l’écrivain, qui passe alors à l’autofiction. En 1996 commence le travail introspectif sur l’humain et son rapport à lui même. Quelques-unsDans ces bras-làL’Amour ou encore Ni toi ni moi font partie de la même vague. En 2008, Camille Laurens change de registre et publie Tissé par mille, un roman où elle s’amuse à déchiffrer ce qui se trame derrière les mots, tous les mots. En janvier 2016, elle publie un roman, Celle que vous croyez, couronné par le Prix du Roman-News 2016. 

 

 

 

Mon Avis :

Cela faisait un moment que je voulais lire ce roman de Camille Laurens, que je ne connaissais pas du tout et que je découvre avec ce livre, alors que je vois dans sa biographie qu’elle en a écrit d'autres qui m'interpellent. C’est le titre qui m’a tout de suite questionnée et le résumé a fini de faire le travail d'attirance.

 

« Fille », rien que ce mot posé là comme ça donne toutes les interprétations possibles, et comme montré dans le résumé, des définitions différentes. La phrase qui m'a tout de suite choquée dans ce résumé, c’est la réponse du père quand on lui demande s’il a des enfants, et qu'il répond par la négative en ajoutant qu'il a 2 filles. Parce qu'avoir des filles, ce n'est pas pareil qu'avoir des enfants ? Cette réponse est tout de même assez révoltante et révélatrice de la pensée profonde de ce père de famille. Il faut bien sûr contextualiser cette réplique, on est alors au début des années 60, la femme n'a pas la place qu’elle a à notre époque dans la société, dans le travail ou dans le foyer familial. Elle est là pour servir l'homme et elle doit se taire, elle est là aussi pour donner un héritier, car bien sûr, c’est de sa faute si il naît une fille et non un garçon.

 

C’est dans ce contexte que va naître Laurence, fille de docteur qui attendait un garçon. Son premier enfant est déjà une fille, qu'il a appelée Claude, prénom unisexe par excellence. Et en plus, son nom de famille, « Baraqué », a tout d'une consonance bien masculine, un nom qui sera lourd à porter. Quand la sage-femme annonce « C’est une fille », la déception est lourde pour lui, il avait prévu un prénom masculin, il l'appellera Laurence, comme Laurence d’Arabie qui est un homme. Laurence va donc grandir dans cette ambiance, sa mère aura un troisième enfant qui mourra bébé, c’était aussi une fille. C’est un poids lourd à porter pour Laurence, que son père lui fera bien sentir. Il s'occupe rarement de sa fille. Elle vivra surtout avec sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère. Pas facile de se construire dans ce cas là. Et en même temps  on est dans les années 60, où la femme va prendre de plus en plus de libertés, s’émanciper enfin, et on va vivre ces changements avec Laurence qui baignera en plein dedans.  Sa découverte de la sexualité sera compliquée aussi, avec un oncle qui a des gestes déplacés, puis viennent les menstruations, avec toutes les questions qu'une fille peut se poser alors. Ensuite, les premiers émois amoureux.

On retrouve ensuite Laurence mariée, qui vivra un gros drame dans sa vie de mère, elle aussi aura une fille, Alice, qui est un vrai garçon manqué dans son comportement, Laurence essaie par tous les moyens de faire d'elle une fille, mais Alice n'aime pas les robes, ni les cheveux longs, elle veut des jouets de garçon et ressembler à un garçon le plus possible. Laurence se demande si cela ne vient pas d’elle, c’est une situation inverse à ce qu'elle a vécu et c’est parfois difficile à gérer.

 

J'ai beaucoup aimé suivre Laurence, ce qu'elle vit m'a chamboulée. Je ne peux pas tout révéler, mais certains événements sont affreux à vivre. Son père m'a révoltée, révulsée. Quand un certain événement va se produire, et qu'on sait que tout est de la faute du père, tout ça parce qu’il ne voulait pas d'une femme mais d'un homme dans cette situation, j’ai eu envie de le frapper. Je n'ose pas vous dire quoi pour ne pas vous spolier, mais ceux qui ont lu le livre sauront de quoi je parle. C’est un être odieux, et je sais que ce genre d'hommes a existé, surtout dans ces années là. Je ne pense pas que cela serait encore le cas maintenant, les femmes ont pris une place importante dans les professions d'hommes et ont su montrer leurs capacités. Et heureusement ! C’est là, en lisant de tels faits, qu'on se rend compte de tout le chemin parcouru par les femmes depuis 50 ans pour pouvoir faire évoluer les mentalités, pour s'imposer et se montrer comme des personnes qui valent autant que les hommes. Il ne faut pas oublier ce qu'ont pu vivre plein de femmes avant nous. Et surtout il faut faire attention que ça ne revienne pas, car l’équilibre est encore parfois bien fragile !

 

Bon, je m’égare, mais ce livre pousse à tellement de réflexions. Il a provoqué un profond malaise en moi, car il a ramené à tellement de choses en moi. Je ne vais pas vous parler de ma vie personnelle, mais moi aussi je suis une fille des années 70, moi aussi j'ai été une déception pour ma mère dans mon cas, pas mon père, elle s'est sentie diminuée de ne pas pouvoir donner un fils à son mari, et comme elle n'a pas pu avoir d'autres enfants, elle a très mal vécu que je sois une fille, d'ailleurs moi aussi j'ai une partie de mon prénom masculin…j'ai connu les cheveux courts coupés comme les garçons, l’habillement masculin…bref, je me suis totalement reconnue dans ce qu'a vécu le personnage du roman. Et je suis mère de trois filles, mais jamais je n’ai voulu reproduire le schéma que j'avais connu. D'ailleurs, je me suis aussi reconnue en Laurence dans sa relation avec sa fille Alice, avec ce qu’elle ne voulait pas reproduire, avec ce qu’elle voulait lui inculquer, malgré tout le poids de sa propre éducation. J’ai tellement eu l'impression, en lisant ce livre, de lire certains épisodes de ma vie, et c’est profondément très troublant et parfois très dur à revivre. Et encore, je n'ai pas vécu certains drames que Laurence vit, je n'ose imaginer la dureté de l’épreuve à passer. Je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas, et je pense que l’histoire de Laurence fera le même effet à d'autres femmes de mon âge. Et je trouve ce roman tellement important à lire, surtout pour les nouvelles générations, pour que les jeunes filles et femmes réagissent au cas où elles retombent sur les mêmes phrases ou comportements. Il ne faut plus qu'une femme ait à vivre de tels drames et ait de telles blessures. Et d'ailleurs, ce roman devrait aussi être lu par les hommes, pour qu'ils voient ce que leurs aînés ont fait et ce qu'il ne faut pas reproduire.

 

Pour en revenir au livre, je me suis totalement immergée dedans, et ce dès le début. L'attachement au personnage est renforcé par le choix narratif de l'auteure qui est celui auquel je suis le plus sensible. Et de toute façon, dans ce genre d'histoire intimiste, il aurait été impossible de le voir écrit autrement qu'à la première personne du singulier. Ce « je » m'a permis d’être encore au plus près de Laurence, de rentrer dans sa peau et dans sa tête, et c’est pour cela aussi que je me suis autant transposée à elle. Les scènes décrites prenaient les apparences des miennes, je me voyais à sa place et je vivais tout intensément. C’était pour moi très remuant, et cela a provoqué certains cauchemars récurrents.

Le style de l'auteure est très bon et tellement particulier par moment. Elle parle avec des mots vrais, parfois crus, parfois durs à lire, elle ne fait pas dans la dentelle ou dans la préciosité, elle dit ce qu’elle a à dire avec les mots de la vie courante, avec certaines expressions que tout le monde a entendues. Je pense notamment à tous ces jeux de mots autour du sexe ou de l’acte sexuel. Et en même temps que ces mots vrais, certaines phrases sont d'une grande qualité littéraire. Camille Laurens a su rendre son histoire palpitante. L’action  commence très fort, comme je l'ai dit plus haut avec la réflexion du père, et on sait d’emblée que l'histoire va être prenante. Moi, je me suis plongée tout de suite dans le livre. Je ne l'ai pas lu trop vite pour autant, il me fallait parfois un petit moment pour digérer les faits relatés et surtout digérer les images de ma vie auxquelles ils me renvoyaient. Donc, même si j’étais totalement embarquée dans l'histoire, je ne l'ai pas lue trop vite. C’est un livre avec beaucoup de densité, où il est très difficile de ne rien ressentir, ou alors il faut être totalement insensible.

 

Le livre est divisé en trois parties qui correspondent aux moments importants de la vie de Laurence, de la petite fille à la femme mariée et mère de famille. Et cela représente bien les trois parties importantes de la vie d'une femme, il en manque une quatrième avec la vieillesse, mais ce n’était pas nécessaire ici. J’ai lu dans un article que certains faits étaient autobiographiques, et je n'en suis pas du tout étonnée car, pour moi, il faut les avoir vécus  pour qu'ils soient si bien détaillés et retranscrits, avec toute la violence ou au contraire tout l'amour qu'ils contiennent. Car, au final, quand on referme ce livre, on se rend compte que c’est une énorme histoire d’amour, d'une fille envers ses parents, d'une femme envers ses enfants, envers un homme. Et l'amour triomphe de tout, cicatrise tout. Ce livre montre la formidable force que nous avons tous en nous pour se reconstruire, pour vivre.

 

Je pense que vous l’aurez compris en lisant cette chronique, j'ai beaucoup aimé ce livre et il m'a énormément remuée. Et en même temps, cela m'a fait me rendre compte que je n’étais pas la seule à avoir vécu de telles choses, et je pense qu’il doit y avoir plein de femmes de ma génération dans le même cas. J'ai beaucoup aimé la plume de Camille Laurens et la découvrir à été un réel plaisir, et m'a donné envie de lire d'autres romans d'elle, et j'en ai déjà relevé certains qui me parlent une fois de plus. Une chose est sûre, je vais continuer à suivre cette auteure, à m’intéresser à ses futures publications. C’est un livre que j'ai emprunté à la bibliothèque, mais je vais très sûrement me le procurer afin de l'avoir dans ma bibliothèque personnelle, pour pouvoir relire certains passages ou encore pouvoir le prêter à d'autres personnes, pour que personne n’oublie ce que les femmes peuvent vivre dans leurs chairs. Je ne peux donc que vous le conseiller, car même s'il remue beaucoup, il est rempli d'espoir et d’amour.

 

Je sais bien que Camille Laurens ne lira jamais cet avis, mais je lui adresse à travers celui-ci tous mes remerciements pour tout ce qu'elle m'a fait vivre pendant la lecture de son roman.

 

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