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Marie-Nel lit

Le stradivarius de Goebbels par Yoann Iacono

27 Janvier 2021 , Rédigé par Marie Nel

Le stradivarius de Goebbels par Yoann Iacono

Publié aux éditions Slatkine et cie

 

 

Résumé :

 

Ce récit est le roman vrai de Nejiko Suwa, jeune virtuose japonaise à qui, en 1943, Joseph Goebbels offre un Stradivarius  pour célébrer l’Axe Berlin-Tokyo.

Nejiko l’ignore alors, le violon appartient à un Français, Lazare Braun, musicien juif spolié et assassiné par les nazis. Elle ne  arvient pas à jouer de l’instrument. Tous les violons ont une âme. L’histoire du Stradivarius la hante.

Après-guerre, Fé1lix Sitterlin, le narrateur, est chargé par les autorités de la France Libre de retrouver le violon volé. Il  rencontre Nejiko. Elle finit par lui confier son journal.

 

 

À propos de l’auteur :

 

Pour écrire ce premier roman, Yoann Iacono, 39 ans, a enquêté plusieurs années en France, en Allemagne, au Japon et aux États-Unis où il a eu accès à des fonds d’archives aussi inédits que son sujet. Il a choisi le mode romanesque non pas pour mentir vrai mais parce que, comme l’écrivait Mark Twain, « si la réalité dépasse la fiction, c’est que la fiction doit rester crédible, pas la réalité ».

 

 

 

Mon Avis :

 

Lorsque Yoann Iacono est venu me parler de son roman il y a quelques mois, avant même sa sortie, j’ai tout de suite été attirée par cette histoire. Rien que le titre était pour moi très intéressant, regroupant deux notions qui ont tout de suite fait tilt. Le stradivarius est un violon très célèbre et d'une grande pureté de son, en avoir un entre les mains est un honneur pour un violoniste et l’écouter est magnifique. Et associer cet instrument à Goebbels était très intrigant, ce nom d'un haut commanditaire nazi est synonyme de seconde guerre mondiale, de proche d'Hitler. Et quand ensuite, j'ai vu la couverture de cette jeune fille asiatique avec son violon et j'ai lu le résumé où tous ces indices s’expliquaient et que j'ai compris de quoi il allait s'agir, j'ai tout de suite été emballée et je voulais le lire avec beaucoup d’intérêt.

 

Je suis, en plus, toujours très intéressée par les histoires vraies. Et cette histoire est l'histoire vraie et romancée d’une jeune virtuose japonaise, Nejiko Suwa, venue en Allemagne pour se perfectionner au violon. Le narrateur, Félix Sitterlin, reçoit un jour des carnets où Nejiko raconte son parcours. Félix était chargé pendant la guerre de la retrouver et de récupérer son stradivarius que Goebbels lui a remis un jour de 1943, en pleine guerre, et ce, pour renforcer les liens entre le Japon et l'Allemagne nazie. Nejiko ne voudra quasiment jamais parler avec Félix pendant ces années de guerre. C’est une fois âgée de quatre-vingt deux ans qu'elle se résout à lui envoyer les carnets où elle a tout raconté.

Nejiko est une jeune fille lorsqu’elle reçoit ce violon. Elle prend encore des cours avec son professeur, mais elle n'arrive pas à sortir le son qu'elle voudrait de son violon. Elle comprendra mieux la raison lorsqu'elle apprendra par Félix que son instrument appartenait avant elle à un musicien français et juif, Lazare Braun, il lui a été volé,  comme des millions d’instruments et d’œuvres d'art, spoliés par les nazis et emmenés dans leur pays. L'auteur consacre d’ailleurs un chapitre où il détaille sur l’année 1943 tous les instruments qui ont été envoyés de France vers l’Allemagne , parfois par 120 pianos à la fois ! Et quand on pense qu'ils ont fait pareil avec les tableaux, les peinture, etc, ça fait froid dans le dos. C’était les Juifs qui triaient tout cela au camp de Drancy, et bien souvent ils voyaient passer certaines de leurs affaires. Au printemps 1944, une centaine d'entreprises de déménagement françaises mettent à disposition du Reich jusqu’à quatre-vingt camions par jour pour acheminer tous ces instruments, trois camps d’internement, annexes de Drancy, sont ouverts pour faire le tri. Ces chiffres sont assez hallucinants, et montrent bien la spoliation  des français et des juifs par les Allemands.

 

Pour en revenir à l'histoire, on va suivre ainsi Nejiko sur plusieurs années, pendant la guerre, juste après et les années qui ont suivi. Elle dira que pour elle, les plus belles années où elle a été heureuse étaient celles où existait le plus de chaos. C’est pendant ces années là qu'elle a connu son premier et seul amour, elle se produisait avec son violon dans beaucoup de villes européennes, elle faisait partie de l'orchestre philharmonique de Berlin. Elle était jeune, elle ne se rendait alors pas compte qu'elle était un pion, manipulée pour des enjeux politiques. Elle s'en rendra compte plus tard. La fin de la guerre est dure pour elle, car elle est vue comme une sympathisante du régime nazi, tout aussi est pour cette idée, elle a reçu un stradivarius de Goebbels en personne, elle s'est produite devant les grandes figures de l'empire nazi, japonais, Hitler, Hirohito, alors la fin de guerre est difficile pour elle. Elle est retenue avec d'autres ressortissants japonais dans un hôtel américain.

 

Bref, car je m'emballe et je vous raconte tout, on va suivre Nejiko pendant toutes ces années, où elle essaye aussi d'apprivoiser son stradivarius. La pauvre a été utilisée, la naïveté de sa jeunesse fait qu'elle ne s'est rendue compte de rien. Elle se sortira de tous ces ennuis grâce à la musique, grâce à son talent. Elle est très célèbre au Japon et tellement méconnue en France, sûrement, justement, parce qu'elle avait les faveurs du gouvernement nazi. En parcourant plusieurs pays, elle va aussi se rendre compte des différences de jeu d'instruments entre les Japonais, les Européens et les Américains, surtout qu’après la guerre, le jazz et le blues deviennent des musiques fort écoutées.

 

J'ai beaucoup aimé suivre la vie de cette jeune violoniste, qui a réellement existé, elle est décédée en 2012. Yoann Iacono a enquêté pendant trois ans en France, en Allemagne et au Japon sur cette musicienne et l'histoire de son violon. Il a ensuite romancé cela tout en se tenant près de la vérité. Il a pris parfois quelques libertés dans le récit au niveau des dialogues qui ne viennent pas d’archives précises. Le personnage de Félix est par exemple fictif, il sert de lien entre l'histoire du stradivarius et celle de la violoniste. On se rend très vite compte en lisant à quel point le travail a dû être important et fastidieux pour rapporter ainsi des faits que l'on ne rencontre pas souvent. J'ai déjà lu pas mal de romans avec comme toile de fond la seconde guerre mondiale, mais j’ai rarement lu d'histoires se rapportant au Japon et à ses liens avec l'Allemagne nazie. Et en plus, que le sujet soit axé sur une jeune musicienne apporte une originalité de plus au récit.

 

Et pour couronner le tout, c’est extrêmement bien écrit, Yoann Iacono a un style très sensible, c’est plein de poésie, il m'a fait penser souvent à un auteur japonais que j'aime beaucoup, Haruki Murakami. Il a la même délicatesse, la même poésie des mots. Il décrit les scènes avec beaucoup de sensibilité et de pudeur. Jamais il ne juge, il reste neutre et raconte tel que cela doit être raconté, il n’hésite pas à étayer son propos avec des chiffres, qu'il a trouvés dans les archives, rendant ainsi encore plus réel son roman. Le choix narratif est double, il est à la fois à la première personne quand c’est Félix qui parle et raconte, et il est à la troisième personne quand il s'agit de Nejiko. J'ai très bien réussi à ressentir chaque émotion qui traverse la jeune fille. L'auteur décrit aussi avec beaucoup de délicatesse les sentiments de Nejiko, ses peurs, ses joies, ses doutes, son plaisir de jouer, sa peur de ne jamais réussir à dompter son violon. Je me suis fortement attachée à cette jeune femme et j'aurais vraiment aimé la connaître plus tôt. Yoann Iacono lui rend un très bel hommage, et à travers elle, cet hommage va aussi à tous ces musiciens qui ont essayé de survivre et de vivre leur passion malgré les tumultes de la guerre. C’est également un hommage à tout ce peuple Juif à qui on a arraché leurs biens les plus précieux, et également leurs vies. Tout comme le violon, ce roman a une âme, celle des personnes qui ont survécu à la guerre, parfois en ne sachant pas trop comment, mais qui sont encore debout, presque honteux d’être encore en vie.

 

Je pense que vous l'aurez compris à la longueur de cet avis, mais j'ai passé un excellent moment avec ce roman, je peux même vous dire que c’est un double coup de cœur, un pour Nejiko, son histoire, sa vie, et un pour Yoann Iacono, qui a su raconter avec brio la vie de cette musicienne. En plus, c’est son premier roman, je suis épatée par tant de talent. J'ai appris que ce livre serait également édité aux éditions J'ai lu, quel beau parcours pour un primo-romancier. Et c’est totalement mérité.

J'ai lu ce livre sur une journée, je n'arrivais pas à le quitter, je voulais tellement savoir ce qui allait arriver à Nejiko, que je tournais les pages sans m'en apercevoir. L'auteur a su, dès les premières lignes, happer mon attention et m'immerger entièrement dans l’histoire de cette jeune musicienne. J'avais également envie de ralentir ma lecture pour rester le plus longtemps possible avec elle. Le livre est composé de quatre parties, qui ont des titres de morceaux de musique : Fantaisies » (1943-1944), « Fugues » (1944-1945), « Poursuites » (1945-1946) et « Pantomimes » (1946-1951). Comme vous le voyez, on passe presque dix ans avec Nejiko et le final est consacré à la fin de sa vie. Je vous laisserai à la fin de cet avis quelques citations des pensées de Nejiko qui montre ce qu'elle peut ressentir justement.

 

Je vous recommande vivement ce roman,  pour son histoire vraie, pour l'Histoire avec un grand H qu'il raconte, pour rencontrer cette musicienne, pour se rendre compte des événements de la guerre, pour connaître les enjeux existant entre le Japon et l'Allemagne. C’est un roman  fort instructif et en même temps fort divertissant, et j'aime énormément quand mes lectures ont ce double pouvoir de me divertir et de m'instruire. C’est très très enrichissant. Yoann Iacono est un auteur que je vais continuer à suivre avec grand intérêt, c'est un nom à retenir car il est très prometteur. Je ne peux que le féliciter pour tout le travail et pour son talent. Je crois que je n'oublierai jamais Nejiko Suwa, et je suis très contente d'avoir ce livre dans ma bibliothèque.

 

Je tiens donc à remercier chaleureusement Yoann Iacono pour tout ce qu’il m’a fait vivre pendant cette lecture et pour la beauté de cette histoire, pas banale, merci de m'avoir contactée et fait découvrir cette musicienne. Et un grand merci également aux éditions Slatkine et cie qui m’ont gentiment fait parvenir ce livre en version papier, c’est toujours très appréciable.

La nature profonde d'un instrument est la non-violence...il peut y avoir de la puissance mais en restant toujours dans le juste et la rondeur.

Je me demande sans cesse s'il aurait mieux valu que je ne parte jamais en Europe. Seule certitude : toute cette aventure dangereuse a été romantique et intéressante. De toute façon, je m'étais toujours promis de mener une vie différente de celle des autres filles et, plus tard, de celle des femmes au foyer ordinaires. Je ne veux pas, comme la plupart des gens, à voir vécu pour rien.

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