Éden de Monica Sabolo
Publié aux éditions Gallimard
Résumé :
«Un esprit de la forêt. Voilà ce qu'elle avait vu. Elle le répéterait, encore et encore, à tous ceux qui l'interrogeaient, au père de Lucy, avec son pantalon froissé et sa chemise sale, à la police, aux habitants de la réserve, elle dirait toujours les mêmes mots, lèvres serrées, menton buté. Quand on lui demandait, avec douceur, puis d'une voix de plus en plus tendue, pressante, s'il ne s'agissait pas plutôt de Lucy - Lucy, quinze ans, blonde, un mètre soixante-cinq, short en jean, disparue depuis deux jours -, quand on lui demandait si elle n'avait pas vu Lucy, elle répondait en secouant la tête : "Non, non, c'était un esprit, l'esprit de la forêt."»
Dans une région reculée du monde, à la lisière d'une forêt menacée de destruction, grandit Nita, qui rêve d'ailleurs. Jusqu'au jour où elle croise Lucy, une jeune fille venue de la ville. Solitaire, aimantant malgré elle les garçons du lycée, celle-ci s'aventure dans les bois et y découvre des choses, des choses dangereuses...
La faute, le châtiment et le lien aux origines sont au cœur de ce roman envoûtant sur l'adolescence et ses métamorphoses. Éden, ou le miroir du paradis perdu.
À propos de l'auteure :
Monica Sabolo est notamment l'auteure de Tout cela n'a rien à voir avec moi (Prix de Flore, 2013), Crans-Montana (Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, 2015) et Summer (2017).
Mon Avis :
Je ne connaissais pas du tout Monica Sabolo avant de l'avoir vue par hasard à l'émission La grande librairie sur France 5. Elle y parlait justement de ce dernier roman, Éden. Le sujet et la façon dont elle en parlait m'ont tout de suite plu et intriguée. Lorsque j'ai vu qu'il était disponible à ma médiathèque, je n'ai pas hésité longtemps avant de le réserver. Maintenant que cette lecture est terminée, je peux dire que je suis vraiment très contente d'avoir fait cette double découverte, celle d'un roman et de son auteure. J'ai pu surtout apprécier sa plume, son style et sa façon de dépeindre des personnages ou des lieux.
Ici, il n'y a pas de mention exacte du lieu de l'histoire. On sait juste qu'on est à proximité d'une forêt, et on se doute que cela se passe en Amérique, à proximité des réserves amérindiennes. Il n'y a pas non plus de date, cette histoire pourrait très bien se passer maintenant comme il y a plusieurs années. J'ai fait la connaissance de Lucy, une jeune fille blanche et Nita, une jeune amérindienne. La vie n'est pas simple pour ces jeunes. Ils ont comme les autres leurs soucis que tous les adolescents ont, mais il faut en plus qu'ils s'intègrent aux autres. Lucy est un jour découverte nue à la lisière de la forêt, traumatisée par le viol qu'elle a subi, recouverte de griffures et d'égratignures. Le choc la rend muette, elle reste enfermée dans le silence et ne dit rien. D'autres agressions ont d'ailleurs lieu sur des hommes dans la forêt, certains ont vu des ombres, d'autres des animaux, personne n'en sait davantage. Nita, de son côté, nous raconte sa vie à la réserve, le lycée, les copains, elle nous parle aussi de Lucy avant l'agression, son comportement. Nita vit seule avec sa mère qui s'occupe très peu d'elle. Son père est parti un jour sans rien dire, est-ce la forêt qui l'a avalé, ou s'est-il enfui pour mener une autre vie, Nita ne cesse de se poser la question.
Bien que le roman ne soit pas divisé, j'ai ressenti à la lecture deux parties distinctes. La première où Nita raconte sa vie, ses rêves, ses espoirs. Où elle parle de Lucy avant son agression, ce qu'elles faisaient ensemble, leurs relations avec les garçons de la réserve. La seconde, pour moi, commence après l'agression de Lucy, quand Nita veut prendre les choses en main et enquêter sur ce qui a bien pu se passer. Elle va intégrer une équipe de serveuses du bar local où elle va pouvoir examiner les hommes qui y viennent. À partir de ce moment là, elle va prendre des décisions importantes pour elle mais aussi pour son amie Kishi ou Lucy. Elle ne peut en même temps pas compter sur la police qui ne protège pas ce peuple, bien au contraire.
Un autre personnage très important ici est représenté par la forêt. L'auteure lui a donné vie, avec les animaux qui y habitent, les humains qui veulent la détruire pour construire une route. Il s'y passe des drames dedans, elle donne un côté très sombre à l'histoire, parfois même étouffante. On peut sentir son cœur battre à travers les pages du roman. Nita veut la protéger, elle représente pour elle tout un monde qu'elle a hérité de ses ancêtres et il est inconcevable de la massacrer. Il est très facile de comprendre ce que ressent la jeune fille. Qui n'a pas eu cette sensation en se promenant dans une forêt d'être observé par les arbres et toute la population qui la peuple. Quand on pose une main sur un arbre, on a la sensation qu'il vit. Alors pour un peuple comme celui de Nita, bercé par des légendes, on comprend aisément l'importance qu'elle a à leurs yeux.
Ce roman est porteur d'un tas de messages et véhicule tant de valeurs. Il nous parle de l'adolescence avec son lot de mal-être ou d'exaltation que l'on connait tous, son envie d'indépendance et pourtant ils ont encore tellement besoin des adultes. Et justement, ces adultes ne se comportent pas toujours comme il faudrait avec eux. Les scènes de viol ou d'agression ne sont pas détaillées et dépeintes, et c'est très bien ainsi, on devine aisément la violence des actes au travers des souffrances des personnes, pas besoin d'en ajouter de plus. Et ça, j'ai vraiment beaucoup apprécié que l'auteure soit délicate et sensible à ce sujet. Ce roman nous parle aussi de la société américaine, celle qui a envahi tout un peuple y habitant déjà en les déracinant de leur terre, en les parquant dans des réserves avec la destruction de leur nature pour y mettre toujours plus de béton. Des sujets graves abordés par l'auteure avec beaucoup de sensibilité dans les mots et les descriptions. Elle dépeint avec talent chaque parcelle de la forêt, j'aurais presque pu sentir les branches craquer sous mes pas ou respirer l'odeur des arbres.
C'est une histoire sombre, qui pourrait ressembler à un thriller plus porté sur la psychologie des personnages que sur les actes. Il règne un suspense noir et intense, à partir du moment où Lucy est retrouvée, et cela se passe au tout début du roman. En tant que lecteur, on suit des pistes, on se demande si c'est lié aux autres agressions d'adultes, ou si cela pourrait être d'autres jeunes. Le mystère reste total tout le long. Les réponses arrivent petit à petit, ainsi que l'esprit de revanche que Nita connait. Et on la comprend parfaitement.
Je me suis d'ailleurs très vite attachée à ces deux jeunes filles, Nita ou Lucy. Leur fragilité à chacune que Nita cache d'ailleurs derrière une carapace. J'ai ressenti parfaitement ce qu'elle vivait ou ses sentiments. Ceci est d'ailleurs renforcé par le choix narratif de l'auteure puisqu'elle emploie la première personne du singulier. Ce « je » représente Nita et permet ainsi d'être au plus près d'elle, de rentrer dans sa tête et de connaître le moindre de ses secrets. C'est un procédé que j'aime beaucoup car il me permet de vivre dans la peau de l'héroïne le temps d'une histoire.
Pour conclure, je dirais que ce fut une très bonne lecture. Je n'ai pas vu les pages défiler, j'ai trouvé l'histoire prenante et j'ai eu beaucoup de mal à quitter ces personnages. La fin n'est pas celle à laquelle je m'attendais, elle fait partie des bonnes surprises de ce roman. Je me suis tellement sentie imprégnée par l'atmosphère créée par Monica Sabolo que j'ai l'impression qu'elle me colle encore même une fois la lecture terminée. J'ai été happée dès les premières pages et n'en suis sortie qu'à la dernière.
Ce qui est sûr, c'est que je vais continuer à lire cette auteure, j'aime la façon dont elle traite son sujet et dont elle raconte. En lisant les résumés de ses autres romans, je serais assez tentée de lire Crans-Montana ou Summer, j'ai vu qu'elle parlait une nouvelle fois de la jeunesse, serait-ce un thème récurrent pour l'auteure ? En tout cas, je prendrais plaisir à la lire de nouveau.
Bien sûr, je vous recommande la lecture de ce roman, c'est une belle aventure qui marque.
Même si Monica Sabolo ne lit jamais cette chronique, mon blog étant trop petit, je tiens à la remercier pour tout ce qu'elle m'a fait vivre tout le long de son récit.