Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Marie-Nel lit

Les loyautés par Delphine de Vigan

6 Octobre 2019 , Rédigé par Marie Nel

Les loyautés par Delphine de Vigan

Publié aux éditions Le Livre de Poche

 

 

Résumé :

 

Théo, enfant du divorce, entraîne son ami Mathis sur des terrains dangereux. Hélène, professeur de collège à l’enfance violentée, s’inquiète pour Théo : serait-il en danger dans sa famille ? Quant à Cécile, la mère de Mathis, elle voit son équilibre familial vaciller, au moment où elle aurait besoin de soutien pour protéger son fils. Les loyautés sont autant de liens invisibles qui relient et enchaînent ces quatre personnages.

 

 

À propos de l'auteure :

 

Delphine de Vigan est une romancière et réalisatrice française née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt. Elle est l'auteur de huit romans dont No et moi en 2007 qui a été couronné par le prix des libraires.

 

 

Mon Avis :

 

C'est le premier roman que je lis de Delphine de Vigan. Il était temps de réparer cette lacune quand on voit le nombre de prix qu'elle a obtenus pour ses différents ouvrages. J'ai choisi celui-ci car c'est le dernier sorti en poche, il n'est pas très gros (190 pages environ) et le résumé, surtout, m'interpellait. Je l'ai lu d'une traite, je ne l'ai pas lâché avant de le finir. Il faut dire que le style de l'auteure très fluide et surtout très bon fait que les mots glissent tout seuls, l'action démarre très vite, et il n'y a pas de temps mort, ce qui fait que je ne me suis pas ennuyée une seconde.

 

En plus de ça, le sujet est passionnant. Delphine de Vigan parle avec justesse des jeunes adolescents de 12-13 ans, avec leur mal-être que l'on connait à cet âge là. Elle a choisi de parler d'un sujet assez rare pour cette tranche d'âge et pourtant bien présent dans la jeunesse actuelle. Ici, la maltraitance des enfants se fait plus au niveau psychologique, et, pour oublier, les enfants noient leur mal-être dans l'alcool. On assiste ainsi à leurs magouilles pour pouvoir avoir des bouteilles de rhum ou de vodka. Ils utilisent en plus des alcools très forts. J'avais lu un article dans un journal comme quoi, justement, les jeunes buvaient plutôt des alcools très forts et non pas de la bière par exemple, comme on pourrait le penser de prime abord.

 

On va suivre ainsi plusieurs personnages qui se côtoient de près. Il y a tout d'abord Théo et Mathis, ils sont copains depuis leur entrée au collège. Théo est un enfant du divorce, ses parents sont séparés depuis longtemps, il vit en alternance une semaine chez son père, une semaine chez sa mère. Il ne faut surtout pas parler du père à la mère, ils ne s'adressent plus la parole et sont en conflit permanent. Son père va mal, après avoir perdu son travail, il s'enfonce dans une spirale infernale qui fait qu'il ne sort plus de chez lui et vit constamment dans son canapé. On comprend vite que Théo peut avoir des difficultés avec une ambiance pareille, qu'il doit tout faire chez son père. Son copain Mathis vit avec ses parents, il est attaché à Théo, prendra bien souvent sa défense et essaiera toujours de lui venir en aide. On suit d'ailleurs sa mère, Céline, qui voit son fils aller moins bien, elle n'aime pas trop qu'il traine avec Théo. À côté de ça, son équilibre familial va être bouleversé par des découvertes qu'elle fera sur son mari. Et enfin, nous avons Hélène, c'est une professeur dans le collège des jeunes garçons. Elle voit que Théo va mal, elle voit qu'il n'est pas dans son état normal pendant les cours. Pourtant, pas de traces de coups ni de violence, mais elle comprend que quelque chose ne va pas pour lui, il dort en classe, est moins attentif. Elle décide d'enquêter discrètement sur lui, auprès de l'infirmière, en essayant de convoquer ses parents. Son passé d'enfant battu resurgit, elle connait les symptômes de la maltraitance et elle ne supporte pas de les voir chez ce jeune garçon. Elle sait combien il est difficile d'obtenir la vérité. Il va lui falloir beaucoup de patience vis à vis du monde adulte et de sa hiérarchie pour faire comprendre le problème.

 

Les chapitres alternent ainsi entre ces quatre personnages. Ceux consacrés aux deux femmes, Hélène et Cécile, sont écrits à la première personne du singulier. Ceux des garçons, Théo et Mathis, à la troisième personne. J'ai beaucoup aimé ce choix narratif et je suis surtout fan de l'emploi du « je » qui permet de se trouver au plus près du personnage, de ressentir ses émotions et d'être dans ses pensées. J'ai encore pu mieux comprendre ce que ressentait Hélène face à Théo et comprendre aussi ce que vivait Céline dans sa famille. Delphine de Vigan a en plus de cela une écriture très visuelle qui fait que j'ai pu très bien m'imaginer les différentes situations vécues par les personnages. Les chapitres sont courts. Pour donner encore plus de rythme, certaines phrases peuvent être courtes selon l'action.

 

Bien entendu, elle fait passer de très beaux messages au travers de tout ce petit monde. Je ne pense pas qu'il aurait pu en être autrement. Outre les notions de maltraitance psychologique ou physique, elle parle avec justesse de la solidarité entre les enfants, de toute cette entraide qu'ils peuvent se fournir, de ces « loyautés » justement, pour reprendre le titre, qu'ils ont l'un envers l'autre. Elle décrit également très bien la vie professorale, tous les problèmes que les enseignants peuvent rencontrer avec les enfants mais aussi avec les adultes. Combien il est difficile de faire comprendre à ses supérieurs qu'il se passe quelque chose pour l'un ou l'autre. Beaucoup d'enseignants sont de nos jours confrontés à ces situations, et il est bon de les rappeler au travers d'un roman, ils ne sont pas formés pour y répondre. Les autorités ne sont pas toujours armés contre cela non plus.

 

En fait, en très peu de pages, et à travers ces quatre personnages, Delphine de Vigan brosse des portraits de la société, très ressemblants et très puissants. L'enfer des enfants, le problème des enseignants et aussi les déviances de certains adultes qui se cachent sur internet sous des pseudos pour colporter des idées que l'on pourrait penser d'un autre siècle. Beaucoup de sujets importants sur notre société sont traités ici, et ça m'a plutôt épatée, je n'aurais jamais pensé qu'il soit possible de le faire si précisément dans un roman si court, rien de superficiel, tout est bien creusé. Le titre, Les loyautés, est bien trouvé. Comme le dit l'auteure, « ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres », « ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes », toutes ces choses de valeur que nous gardons au fond de nous et qui font notre fondement.

 

La fin peut surprendre. J'ai lu des avis dans lesquels certains n'avaient pas du tout aimé le roman justement à cause du final. Disons que c'est une fin ouverte. Tout se termine sur un fait grave qui arrive à l'un des personnages, et à nous, lecteurs, d'imaginer ce qui peut se passer ensuite selon le dernier chapitre. J'aime à penser que tout se termine bien, que la prise en charge va être faite et que tout va aller pour le mieux. Je pense que c'est comme ça aussi que l'entendait l'auteure d'après ce que j'ai pu lire dans une de ses interviews. Moi, cette fin me convient tout à fait et reste dans le ton global du roman. Pourquoi d'ailleurs faudrait-il que les auteurs nous mâchent toujours le boulot et nous mènent à une fin convenue du style « ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ». Dans certains romans, c'est évident que cela doit se passer ainsi. Dans d'autres, comme celui-ci, il est bon de faire marcher l'imagination du lecteur et de lui laisser se faire son propre avis final.

 

Je pense que vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette lecture. C'est une très belle découverte d'une auteure que je vais continuer à suivre. J'ai d'ailleurs dans ma liseuse celui qu'elle a publié cette année, Les gratitudes, je pense que je vais très vite le programmer dans mes lectures, surtout qu'il n'est pas très épais lui non plus. Je suis très contente d'avoir lu enfin cette auteure. Les personnages vont rester en mémoire un petit moment. C'est beau, c'est plein d'empathie, ça ne peut que vous toucher. Je vous recommande vivement cette lecture.

 

Je ne pense pas que Delphine de Vigan lira cette chronique, je lui adresse tout de même un très grand merci pour tout ce qu'elle m'a fait vivre le temps d'une lecture, un moment inoubliable qui résonne au fond de moi.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article