Né d'aucune femme par Franck Bouysse
Publié chez La Manufacture de Livres
Résumé :
"Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d'une femme à l'asile. - Et alors, qu'y a-t-il d'extraordinaire à cela ? demandai-je. - Sous sa robe, c'est là que je les ai cachés. - De quoi parlez-vous ? - Les cahiers... Ceux de Rose." Ainsi sortent de l'ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin.
Franck Bouysse, lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d'aucune femme la plus vibrante de ses oeuvres. Avec ce roman sensible et poignant, il confirme son immense talent à conter les failles et les grandeurs de l'âme humaine.
À propos de l'auteur :
Né en 1965, Franck Bouysse a enseigné la biologie et l'horticulture avant de se consacrer à sa passion pour l'écriture. Ses romans Grossir le ciel en 2014, Plateau en 2016 et Glaise en 2017 ont rencontré un large succès, public comme critique, et remporté de nombreux prix littéraires. Franck Bouysse partage aujourd'hui sa vie entre Limoges et un hameau de Corrèze.
Mon Avis :
Ça faisait un moment que je voyais passer ce roman, que j'en lisais de bons retours et du coup, ils me donnaient très envie de le lire. J'ai profité qu'il soit disponible à ma médiathèque pour l'emprunter. Je ne connaissais pas du tout Franck Bouysse, je n'avais jamais rien lu de cet auteur, c'est maintenant chose faite, et je suis tellement convaincue par son talent d'écrivain que je vais sûrement lire d'autres romans de lui.
L'histoire est bouleversante et poignante. J'ai laissé un peu décanter après ma fin de lecture, pour arriver au mieux à écrire cette chronique, qu'elle soit objective et bien pesée. Je ne vais pas trop parler de l'histoire, déjà parce que le résumé n'en dit pas de trop, et j'apprécie tellement ce fait que je ne voudrais pas gâcher votre plaisir de découvrir l'histoire à la façon dont nous le propose l'auteur. C'est un roman choral, où Franck Bouysse donne la parole à plusieurs personnages, chaque chapitre est consacré à l'un d'entre eux, Rose, Onésime, Gabriel, Edmond ou encore Elle. Certains personnages parlent à la première personne du singulier, comme Rose, Edmond ou Gabriel. J'aime beaucoup ce procédé qui permet de mieux rentrer dans la tête de celui qui raconte. Mais, malgré tout, l'emploi du « il » ou « elle » pour les autres personnages ne m'a pas empêchée de ressentir les sensations qu'ils traversent, et ça, c'est grâce à la plume et aux mots de l'auteur qui nous font nous sentir proches de ce que vivent les personnages. Et puis, comme il s'agit d'un récit de carnets écrits par l'héroïne, l'emploi du « je » était casiment obligatoire.
Une autre particularité du style de l'auteur, c'est sa façon de construire les dialogues. Ceux-ci sont retranscrits normalement dans une conversation, mais lorsqu'il s'agit du récit de l'héroïne, ils se confondent avec le reste de l'écrit, sans être marqués par des tirets et des retraits à la ligne. J'avoue qu'au départ, ça m'a interpellée, mais je m'y suis très vite fait, et cela ne m'a aucunement dérangée dans ma lecture ni dans ma compréhension.
Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, Franck Bouysse a un formidable talent de conteur. Il fait passer à travers son écrit une multitude de sensations et de sentiments. Les deux premiers chapitres sont assez énigmatiques, ils ont pris tout leur sens une fois arrivée à la fin où je les ai alors relus pour mieux les comprendre. On commence ensuite avec Gabriel qui est le curé d'un village. Il reçoit en confession une personne qui vient lui dire qu'il va être appelé car une personne de l'asile proche va mourir et qu'il faudra alors qu'il aille la bénir. La chose étrange que demande cette femme à Gabriel, c'est de prendre des carnets qui se trouveront sous la robe de la défunte et de les emporter avec lui. Gabriel est tout retourné par cette confession d'une femme qu'il n'a pas reconnue, il n'y donne pas tellement d'importance. Et pourtant, il sera appelé peu après à l'asile pour la raison invoquée par la femme. Gabriel va sortir les carnets, tout en les cachant, et aussi tout faire pour que cette femme soit enterrée décemment. Le prêtre va alors lire les carnets, qui sont écrits par une certaine Rose. Il ne sait pas alors dans quoi il va s'embarquer. Rose relate tout ce qui lui est arrivé à partir de ses quatorze ans. Elle est issue d'une famille très pauvre, est l'ainée d'une fratrie de quatre sœurs, son père va avoir alors un geste pour sauver sa famille, pense-t-il. Mais ce qu'il s'apprête à faire va bouleverser à jamais la vie de Rose et la sienne également.
Il est très difficile de ne pas s'attacher à Rose, impossible de ne pas être touché par ce qui va lui arriver. Elle va apprendre ce qu'est le mot survivre, elle va vivre des situations d'une horreur innommable. Je pensais à chaque fois qu'elle ne pouvait pas vivre pire que ce qu'il venait de se passer, et si, ça pouvait en effet exister. Quand elle pensera être tranquille et pouvoir un peu se reposer, elle sera rattrapée par la méchanceté et la cupidité. Ces carnets qu'elle écrit vont être pour elle une libération, une façon de s'échapper de son quotidien si triste et dur. J'ai d'ailleurs relevé cette phrase où Rose explique ce que représente l'écriture pour elle :
« La seule chose qui me rattache à la vie, c'est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au moins, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. »
Et je pourrais vous en citer d'autres du même genre, tellement ce que dit Rose est fort et puissant. Mais le mieux est de lire ce roman, pour s'imprégner le plus possible de la vie de Rose. Je pense que je ne suis pas prête d'oublier ce personnage et ce qui lui est arrivé. J'aime bien lire les avis négatifs avant de commencer un livre, pour savoir ce qui pourrait ne pas aller. Certains disaient surtout qu'ils avaient abandonné à cause de la violence des faits. C'est donc avec une certaine appréhension que je commençais ma lecture. C'est vrai qu'il y a de la violence, aussi bien physique que psychologique, mais rien qui m'aurait poussée à abandonner. J'étais tellement tenue par l'espoir que tout allait bien se terminer pour Rose et aussi par la curiosité de savoir, que je n'ai pas réussi à lâcher ce roman avant d'en savoir la fin. Et franchement, pour ce qui est du final, je ne l'ai pas du tout vu arriver, j'étais loin de m'imaginer de tels événements. L'auteur a eu l'art de brouiller les pistes, avec des personnages pouvant se confondre entre eux, aux histoires similaires et tout aussi tragiques et avec des révélations sur certains qu'on ne soupçonnait pas. Bref, une touche de thriller qui tient en haleine et provoque une sorte de suspense pour nous lecteurs.
Une dernière chose à signaler, et j'en aurais fini, j'ai encore une fois de plus été trop bavarde... Le roman n'est ni daté ni situé. Pas d'indication de temps, on devine que c'est dans des temps anciens car les transports se font encore en carriole à cheval et idem pour le lieu, on se doute que ça se passe en France et en campagne, mais difficile de dire où. J'ai trouvé cela assez fort et inhabituel, dans une mode qui est de situer et dater le plus exactement possible dans la littérature. Ça laisse une porte ouverte pour le lecteur, à lui d'imaginer les lieux. Ce que j'ai fait, car ça n'empêche d'avoir les décors complets et l'atmosphère glauque et lourde bien retranscrite.
Vous l'aurez, je pense, deviné si vous êtes arrivés à la fin de ce long avis, que j'ai passé un très bon moment de lecture avec cet auteur que je découvre. Je ne pense pas oublier de sitôt cette histoire et ses personnages. J'ai vécu une lecture intense, assez rapide tellement j'étais absorbée dedans, et surtout, j'avais beaucoup de mal à revenir à la réalité après. Les sujets m'ont touchée de près, certains plus particulièrement que d'autres. Je pense que je vais continuer de découvrir Franck Bouysse, j'ai très envie de lire Grossir le ciel. Si vous ne le connaissez pas encore, je vous invite à le lire, il sait embarquer le lecteur, je vais le vérifier avec un autre de ses romans.
Je pense que Franck Bouysse ne lira jamais cet avis qui passera inaperçu, mais si c'est le cas, je le remercie sincèrement pour tout ce qu'il m'a fait vivre le temps d'une lecture.