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Marie-Nel lit

Opus 77 de Alexis Ragougneau

25 Mars 2021 , Rédigé par Marie Nel

Opus 77 de Alexis Ragougneau

Publié aux éditions du Livre de Poche

 

 

Résumé :

 

Lors de la messe de funérailles d’un célèbre chef d'orchestre, sa fille, Ariane, pianiste de renommée internationale, entame contre toute attente une oeuvre écrite pour violon et orchestre : l’Opus 77 de Chostakovitch. Tous ceux qui comptent dans le monde de la musique classique sont réunis. Tous, sauf David Claessens, le fils, violoniste prodige en son temps et désormais reclus dans un bunker. Pendant qu'elle joue, Ariane se souvient : son enfance avec son frère dans cette famille vouée à la musique, l'exigeant apprentissage du piano pour l'une, du violon pour l'autre, leur relation complexe avec leur père, la lente destruction de leur mère, chanteuse lyrique peu à peu réduite au silence… Et surtout les pièges de la dévorante célébrité, la pression et la peur de faillir, la compétition impitoyable et les règles d'un microcosme qui ne tolère aucune déviance à ses normes.

 

 

À propos de l'auteur :

 

Auteur de théâtre, Alexis Ragougneau a fait une entrée remarquée dans le monde littéraire grâce à la publication de deux romans policiers : La Madone de Notre-Dame (2014) et Évangile pour un gueux (2016). Il a ensuite décidé de s'affranchir des règles pour explorer plus librement la création romanesque. Après Niels, qui avait retenu l'attention des jurés du Prix Goncourt en 2017, il revient cette année avec un roman aussi ambitieux que fascinant. Son style, qui s'affirme de livre en livre, vous invite à découvrir les coulisses obscures du monde de la musique classique à travers l'histoire des Claessens, une famille de musiciens, pétrie de silences et de non-dits. Ses livres sont acclamés par les libraires et les journalistes, aussi bien en France qu'à l'étranger.

Le titre Opus 77 est un hommage à l'oeuvre du compositeur Dimitri Dmitrievitch Chostakovitch (1906 – 1975).

 

 

Mon Avis :

 

J'ai lu ce roman dans le cadre du Prix des Lecteurs du Livre de Poche, il fait partie de la sélection de mars dans la catégorie littérature. Pour expliquer en quelques mots comment fonctionne ce prix, nous sommes cent trente jurés dans chaque catégorie qui, chaque mois, de février à août, allons lire une sélection de trois romans, en choisir un, et à la fin des sept mois, nous devrons choisir le gagnant du Prix parmi les sept romans que nous aurons sélectionnés. C’est une belle aventure que j'ai déjà eu l’occasion de vivre, elle m'a permis de faire de très belles découvertes de romans et d'auteurs que je ne connaissais pas toujours.

 

C’est le cas à nouveau ici avec ce roman de Alexis Ragougneau. Quand j'ai vu la couverture du Livre de poche, je pensais n'avoir jamais vu auparavant ce livre. Et quand je suis allée chercher des informations sur lui et que j'ai vu la couverture du grand format, un demi violon avec un demi visage caché derrière, je me suis souvenue alors que je voulais le lire car cette photo m'intriguait beaucoup. C’est une image qui me parle beaucoup, ayant eu une fille qui joue du violon. Le résumé a fini de faire le travail, il mélangeait des thèmes que j’apprécie, histoire de famille, sur fond musical.

 

Et toute l’originalité de cette histoire repose justement sur le fait qu'elle repose sur une pièce de musique de Chostakovitch, le Concerto pour violon n°1 en la mineur, opus 77. Chostakovitch est un musicien que j’apprécie, et que l'on connaît surtout pour sa Valse n°2, rendue très célèbre par une publicité de voiture. Mais je m’éloigne du livre. Cet Opus va être le point central, le fil rouge du livre qui va se découper selon les mouvements de ce concerto. Comme lui, le livre est divisé en quatre parties, Nocturne  avec un rythme Moderato, Scherzo et son rythme Allegro, Passacaglia au rythme Andante et le quatrième, Burlesque  avec un rythme Allegro Presto. L'histoire va se coller parfaitement aux rythmes du concerto.

Tout commence par une messe d’enterrement, on fait la connaissance de Ariane Claessens, célèbre pianiste. C’est l’enterrement de son père, le célèbre chef d’orchestre. Ariane a décidé de jouer une pièce au piano pendant la messe, en hommage à son père. Elle aurait pu choisir un morceau connu, que l'on joue habituellement aux funérailles, mais elle décide de jouer un concerto qui a marqué sa famille, l'Opus 77, qui d'habitude se joue au violon mais qu'elle interprétera au piano. Les grands absents de cette cérémonie sont sa mère, Yaël, chanteuse lyrique et son frère David, violoniste. Ariane, au fur et à mesure qu'elle joue va se remémorer sa vie avec son père, son frère, tout ce qui a pu marquer cette famille de musiciens.

On va ainsi remonter dans le passé, dans l'enfance d'Ariane avec son frère, leur apprentissage de la musique, avec un père autoritaire et une mère qui peu à peu perdra sa voix. Les relations entre David et son père sont tendues, l'apprentissage de la musique est ardue, le père est exigeant avec ses enfants, ce qui peut se comprendre. La musique est ce qui les réunit mais aussi ce qui peut les déchirer. David est doué, plein de talent, mais très introverti, il quittera d'ailleurs tout pour vivre enfermé dans un bunker en Suisse. La mère est effacée, perd sa voix, et finira elle aussi dans une autre sorte d'enfermement. Ariane est celle qui essaiera toujours de les réunir, elle est une grande pianiste, fait des concerts à travers le monde. Elle aidera son frère à se surpasser. Elle s'occupera de son père à la fin de sa vie, et cherchera toujours à renouer les liens entre le père et le fils.

 

En tant que lecteurs, on est conviés à ce concert, et en même temps à rentrer dans l’intimité de cette famille célèbre le temps d'un roman. L’histoire suit le rythme du concerto, cela commence doucement avec l'enfance et la vie familiale pour finir en apothéose avec ce prix de la Reine Elisabeth  que David va tenter. C’est sa sœur et son professeur qui le poussent à le tenter, il a plusieurs phases éliminatoires à passer et la final est de jouer justement l’Opus 77 avec un orchestre, et le chef d'orchestre invité cette année là n'est autre que le père de David, qui ne sait pas que son fils s'est inscrit à ce prix. Comment vous dire à quel point les moments vont être forts pendant ces temps où père et fils règlent leurs comptes au travers de leur jeu musical. Tout l'amour, tout le manque, tous les non-dits vont être transposés le temps d'un concerto. Et le silence, ce silence si pesant, ces regards qui ne se croisent pas, c’est pour moi le moment le plus intense du roman. Comme si tout le reste du livre n’était là que pour arriver à ce moment, exactement comme lorsqu’on écoute une symphonie, le point d’orgue, le moment où tout l'orchestre s'emballe.

 

Je me suis alors empressée d’aller écouter cet Opus 77 pour pouvoir ressentir au plus près toutes les émotions, et je peux vous dire que le rythme de ce livre suit parfaitement celui du concerto. Et pour ça, je suis totalement admirative, car c’est un exercice pas évident du tout. Le style de Alexis Ragougneau est très bon, il peut à la fois être incisif, violent, fort, et en même temps doux, caressant, plein de pudeur. J'ai aimé la façon dont il a amené tous les événements. Le narrateur principal est Ariane, le choix narratif de l’auteur est donc la première personne du singulier, et je suis très sensible à ce « je » qui me permet de me mettre à la place de la narratrice et de ressentir au plus près tout ce qu'elle vit, de rentrer dans sa tête. Et les émotions ressortent très bien. Ariane s’adresse à son frère, à son père, elle parle de son professeur, de sa mère. C’est parfois un peu déroutant, car au début d'un nouveau paragraphe, on ne sait pas toujours à qui elle parle, il faut quelques lignes pour comprendre qui est l'interlocuteur, et cela m'a par moment déstabilisée. Ce serait mon seul petit défaut de cette lecture. Les remontées dans le passé ne sont pas suivies dans le temps, je veux dire qu'on peut être à un moment de la vie adulte, remonter dans l'enfance, puis l'adolescence pour retourner encore plus loin. C’est aussi parfois déroutant, mais c’est aussi très original. Une autre originalité aussi, c’est qu'il n'y a pas ou très peu de dialogue, comme il n'y a pas de chapitres. À l’intérieur d'une partie musicale, tout est raconté d'un bloc, et n'est séparé que par des espaces. Quand j'ai vu cette construction en feuilletant le livre avant ma lecture, j'ai eu peur que cela provoque beaucoup de longueurs, et en fait pas du tout. Tout est bien rythmé par les allers-retours entre le présent et le passé. Je ne me suis pas ennuyée une seconde.

 

J'ai beaucoup aimé ce livre, découvrir cet auteur. Alexis Ragougneau a écrit ce roman comme un musicien écrit une partition, il a réussi à transposer la force des coups d'archet, ou des touches de piano, mais aussi la douceur d'un toucher de note. J'ai vraiment vécu cette lecture comme j’écoute une symphonie de musique classique. Certaines scènes m'ont rappelé de bons souvenirs, surtout l'apprentissage de la musique au moment de l'enfance de David et Ariane. J'ai revu mes deux filles qui ont appris les mêmes instruments, aller au conservatoire, une avec le violon dans le dos, l'autre avec son cartable de partitions. Cela m'a remémoré de très bons moments avec mes enfants et m'a beaucoup touchée.

Ce livre transmet des émotions fortes, et parle très bien des relations parents-enfants, dans leurs complexités et leurs beautés. C’est un vibrant hommage aux relations familiales, et il pointe aussi le doigt sur le fonctionnement du milieu musical, de la célébrité, des dangers de celle-ci, de la compétition entre les musiciens et du microcosme qu’il représente, comme une élite au-dessus de tout.

 

Je pense que vous l'aurez compris au vu de la longueur de cet avis, j'ai aimé ma lecture, touchante et émouvante, elle s'est lue facilement et n'a pas été ennuyante. Bien qu'il porte un nom de concerto, ce n'est pas un livre sur la musique, mais plutôt sur ceux qui la joue, qui font ce qu'elle est, chaque musicien aura une façon différente de jouer une pièce de musique et c’est ce qui fait sa grande richesse.

Je découvre totalement Alexis Ragougneau avec ce livre et je ne suis pas du tout déçue par cette découverte. Je le note dans mes auteurs à suivre car je prendrai un grand plaisir à lire un autre de ses romans. J'ai envie de voir s'il met autant d’originalité dans d'autres de ses écrits.

Je ne peux vraiment que vous conseiller ce livre qui vous enrichira musicalement et qui vous emmènera dans une histoire familiale intense.

 

Je remercie sincèrement Alexis Ragougneau pour tout ce qu’il m'a fait vivre pendant la lecture de son livre et remercie également le Prix des Lecteurs du Livre de Poche qui m'a une nouvelle fois permis de lire un livre que je n'aurais peut-être pas lu ordinairement.

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