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Marie-Nel lit

Les jardins d'hiver de Michel Moatti

14 Novembre 2020 , Rédigé par Marie Nel

Les jardins d'hiver de Michel Moatti

Publié aux éditions Hervé Chopin 


Résumé :

J’ai rencontré Jorge Neuman par hasard, en pleine Guerre sale. Je l’ai ramassé sur le bord de la route, alors qu’il venait de s’enfuir d’un camp. Il m’a raconté, m’a ouvert les yeux. Il a voulu que je dise au monde entier ce qui se passait dans son pays, mais j’ai eu peur. Je suis rentré en France et lui a disparu.
Aujourd’hui, quarante années plus tard, je recherche ses traces partout où il a pu en laisser. Je cherche ceux qui ont croisé sa route, comme le sinistre capitaine Vidal, qui a sans doute assassiné celles qu’il aimait. Je cherche, et maintenant j’ai peur de ce que je vais trouver.

 

À propos de l’auteur :


Ancien journaliste, Michel Moatti est professeur en sociologie des médias à l'université de Montpellier III. Son premier roman, Retour à Whitechapel, est le résultat de trois années d'enquête sur l'identité de Jack l'éventreur. Paru en 2013, il rencontre un grand succès auprès des libraires et de la presse. Depuis, Michel Moatti publie un titre chaque année et a reçu le prix Polar de Cognac en 2017 pour Tu n'auras pas peur.
         Tous ses romans sont publiés en poche chez 10-18.


Mon Avis :

Je connais Michel Moatti de nom, et plus particulièrement pour son roman Retour à Whitechapel que je n'ai pas encore lu. Ce livre ci a donc été pour moi l'occasion de me rattraper et de lire enfin cet auteur. Et ma première impression à chaud est que je suis très contente d'avoir découvert cet auteur et son roman, j'ai beaucoup aimé et il a su rendre son sujet très intéressant sur des événements que je ne connaissais pas particulièrement. 

Tout le roman va tourner autour de deux personnages importants avec d'autres qui viendront se greffer tout au long des évènements. Le narrateur de l'histoire est Matthieu Ermine. Il a vingt-trois ans lorsqu'on le rencontre au début, on est dans la fin des années 70, il travaille dans un institut français à Buenos Aires en Argentine. Il ne fait pas trop attention aux troubles du pays. Ceux-ci le rattrapent lorsqu’un soir, il prend en stop un homme qui titube sur le bord de la route. Cet homme est blessé, plein de sang. Matthieu le ramène dans son appartement. L'homme, Jorge Neumann, a peur, et raconte vite fait ce qui lui est arrivé. Jorge est argentin, professeur et écrivain célèbre. Il donne rendez-vous à Matthieu le surlendemain dans un café pour lui en raconter plus. Matthieu est troublé par cet homme qu'il va donc rencontrer une nouvelle fois. Jorge va lui raconter la mort de sa fille, enlevée pendant la nuit des crayons, une révolte des jeunes contre la hausse des prix, puis son propre enlèvement à lui, et retenu dans des camps de détention appelés « les jardins d’hiver » avec sa femme qui a été torturée et violée devant ses yeux. Lui a été relâché, il ne sait pas ce qu’est devenue sa femme. Il remet à Matthieu un manuscrit dans lequel il raconte tout ce qu'il a vécu, avant de disparaître, il s'est promis de retrouver Vidal, le responsable de ces crimes. Matthieu rentre en France avec ce témoignage. Nous le retrouvons ensuite quarante ans plus tard, il a écrit lui-même un livre sur Jorge et les terribles événements de cette époque dans ce pays. Mais surtout, Matthieu aimerait savoir si Jorge existe encore ou Vidal, il a vu tellement peu de temps Jorge qu'il se demande si tout cela est vrai. Il se pose beaucoup de questions sur la véracité des propose de l'homme qu'il a rencontré quarante ans plutôt, pourquoi il a été relâché, est-il encore vivant ou mort comme certains le disent. 

Le mystère va régner ainsi tout le long jusqu’à la fin. Matthieu a écrit un roman et proposé une thèse sur un homme qu'il n'a rencontré qu'une fois. Il va ainsi refaire des recherches au bout de toutes ces années. Et ces recherches sont passionnantes pour les lecteurs que nous sommes. Tout l’intérêt de ce roman repose dessus et sur les faits qui se sont réellement déroulés en Argentine. La nuit des crayons a réellement existé, des jeunes étudiants ont disparu, sont morts. Les « jardins d'hiver » ont eux aussi existé réellement. Et quand on sait ça, on mesure toute l'horreur que cela a pu être. Michel Moatti explique à la fin du livre que tout est tiré de faits réels, Jorge Neuman n'existe pas, il a composé ce personnage à partir de personnes ayant vécu ces terribles exactions,  un docteur, un instituteur, des personnes intelligentes, qui savent réfléchir. Des personnes intelligentes sont toujours des dangers pour des dictateurs. Vidal a également existé, il n'a juste pas le même nom dans la vie, il est d'ailleurs toujours vivant, malade, mais vivant. Ce qu'il s'est passé pendant ces années est horrible, plus de 40000 personnes sont mortes, dont 30000 disparus. Lorsque les tortures ne donnaient plus rien, ils emmenaient les prisonniers dans un avion et les jetaient dans le vide. 
Je savais que l’Argentine avait connu des moments terribles dans son histoire, mais les lire dans un livre les rend encore plus réelles, et même si ce sont des personnages de roman, on sait qu'ils sont tirés de personnes ayant vécu toute cette horreur. Michel Moatti retrace tout cela avec justesse, sans fards. Sa plume est acérée, précise, il fait se dérouler les scènes comme dans la réalité  il a un style très cinématographique, il est très facile de se représenter les scènes et de voir le film de la vie de ces personnages se dérouler devant nos yeux.

Outre le témoignage et la description de ces drames, l’auteur met aussi l'accent sur ce que l'humain a de plus sombre en lui. Peut-on arriver à connaitre quelqu’un que l'on a vu qu'une fois et seulement sur des écrits de lui. Si on cherche à en savoir plus, ne tombe-t-on pas sur des vérités qui remettent certains faits en questions. Un héros l'est-il même si ses actions ne sont pas si glorieuses. Qui sont en fait tous ces acteurs d'une telle horreur, où sont les responsabilités de chacun. Et comment vivre ensuite avec… J’ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur nous fait réfléchir sur tout cela, il nous fait prendre position, il nous montre que tout n’est pas ou blanc ou noir, que parfois ces deux couleurs se mélangent. 

J'ai beaucoup aimé suivre Matthieu dans ses réflexions et ses recherches. J'ai appris beaucoup sur l'histoire de l’Argentine. J'aime quand mes lectures sont à la fois distrayantes par leur contenu et instructives par les faits qui sont relatés. De savoir cela glace le sang plus d'une fois. J'ai été terriblement émue, des moments difficiles à vivre. Je me suis attachée à tous les personnages, et surtout à Matthieu et Jorge, puisque ce sont eux dont on parle le plus, mais je me suis aussi attachée aux « absents », à ceux dont Jorge et Matthieu parlent mais qui ne sont plus là, je pense notamment à la fille et à la femme de Jorge. Bien sûr, l'attachement est ici renforcé par l'utilisation de la première personne du singulier par l'auteur. J'aime beaucoup l'utilisation de ce « je » qui me permet de me mettre encore plus dans la peau du personnage, de ressentir au plus près la moindre de ses émotions. Et ici, dans cette histoire, je peux vous dire qu'on va être servis côté émotionnel, comme on peut se douter dans ce genre d’histoire très réelle. Difficile de prendre de la distance par rapport aux faits, il a été ingénieux de la part de l'auteur de mettre Matthieu comme narrateur, car lui-même garde une certaine distance vu qu'il n'a pas été touché par les atrocités. Cela aurait été raconté par Jorge, les scènes auraient été encore plus horribles. Certains passages du roman sont racontés par Jorge puisque c’est la retranscription du manuscrit qu’il a laissé à Matthieu. Dans ces moments là, l’émotion est a son comble. J’ai pu ainsi me mettre à la place de Matthieu et me demander comment j'aurais réagi si j’avais vécu la même situation que lui. 

C’est une lecture marquante, qui va me rester un moment en tête. Je ne peux pas dire que j'ai lu rapidement ce roman, pas parce qu'il n’était pas addictif, bien au contraire, il est très prenant. Mais j'avais envie de rester dedans plus longtemps, je prenais mon temps car certaines situations sont assez lourdes, j'avais besoin de les digérer. Même une fois fini, le livre fermé, je reste imprégnée par l’histoire, par l'ambiance, par les faits. C’est un livre que je ne vais pas oublier de sitôt. Je suis également très contente d'avoir découvert Michel Moatti, c’est un auteur que je vais continuer à suivre et surtout je vais me procurer et lire dès que possible son précédent roman, Retour à Whitechapel, qui, cette fois-ci, va parler de Jack l'éventreur. Vu le travail de précision qu'il a fait sur ce roman en Argentine, j'ai hâte de voir comment il a traité le sujet d’un des plus grands tueurs de l'histoire. 
D'ailleurs, avant de terminer cet avis, je voulais souligner tout le travail que l’auteur a dû réaliser en amont pour conter aussi précisément une partie de l'histoire dont on parle peu. Il parle d'ailleurs de ses propres recherches à la fin du livre, et c’est assez impressionnant. J'aime retrouver de l’authenticité dans les histoires que je lis.

J’ai passé un excellent moment avec ce roman que je vous recommande. Un moment fort, troublant, émouvant, sur un moment de l'Histoire de notre monde qu’il faut connaître. C’est le premier roman que je lis sur ces faits, et je trouve dommage que certains pans de l'histoire ne soient pas plus relatés par rapport à d’autres que l’on retrouve bien trop souvent. C’est très important de dire et écrire sur ces sujets, pour ne pas oublier, pour que le devoir de mémoire se fasse et passe aux générations futures.

J’envoie à travers les mots de cette chronique tous mes remerciements à Michel Moatti pour ce qu'il m'a fait vivre tout au long de son roman. Et un grand merci aux éditions Hervé Chopin qui m'ont permis de lire ce livre grâce à leur participation à la masse critique de Babelio. 

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