Une vie comme les autres de Hanya Yanagihara
Publié au Livre de Poche
Résumé :
Ils sont quatre amis de fac, et ils ont décidé de conquérir New-York : Willem, l'acteur à la beauté ravageuse ; JB, l'artiste peintre, aussi ambitieux et talentueux qu'il peut être cruel ;Malcolm, qui attend son heure dans un prestigieux cabinet d’architectes ; Jude, le plus mystérieux d'entre eux, celui qui, au fil des années, s'affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s'approfondissent et se compliquent cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l'ampleur.
Épopée romanesque d'une incroyable intensité, chronique poignante de l'amitié masculine contemporaine, Une vie comme les autres interroge aussi nos dispositions à l'empathie et notre façon d’endurer la souffrance, la notre comme celle d'autrui.
Mon Avis :
J'ai lu ce roman dans le cadre du Prix des Lecteurs du Livre de Poche, il fait partie de la sélection de février. Dans un premier temps, j'ai été impressionnée par la taille du livre, un peu plus de 1100 pages au format poche, ça fait un beau bébé, un beau pavé. Il perdrait même sa fonction première du livre de poche qui est de tenir dans une poche justement...
Dans ce roman, on va suivre la vie de quatre jeunes hommes pendant une trentaine d'années de leur vie. Ils se sont connus à la fac et sont devenus amis. Il y a JB, Malcolm, Willem, et Jude. JB est d'origine haïtienne, a perdu son père tôt, il est artiste peintre et prêt à tout pour réussir. Malcolm, lui, est métis, issu d'une famille riche, il vit encore à 30 ans avec ses parents, et est architecte. Willem, est acteur, il est originaire de Suède et a vécu dans une ferme avec un frère handicapé. Et Jude, lui, est avocat, on ne connait rien de son passé, il ne dit rien et garde tout pour lui, on sait juste qu'il souffre de son dos, il boite et est handicapé par ses souffrances, il dit qu'il a eu un accident de voiture, mais sans plus de précisions. Tous les quatre sont liés par l'amitié, ils viennent d'horizons différents, ont eu des jeunesses différentes, n'ont pas les mêmes familles. Ces différences ne vont pas les empêcher de s'apprécier et de nouer une profonde amitié. Certains s'entendront mieux que d'autres, la vie met parfois des batons dans les roues. On va suivre plus précisément l'un des quatre, Jude. On sait très peu de choses sur lui, on comprend très vite qu'il est orphelin, mais on se pose des questions sur son mal-être évident, sur le pourquoi de ses difficultés à vivre parmi les autres et à s'accepter, et on cherche à savoir ce qu'il a vécu. Il ne se confie pas, il garde tout pour lui, il a honte de lui. Au fur et à mesure, des bribes de son passé vont se dévoiler, on va en apprendre un peu plus sur lui, sur ses souffrances, sur son martyr. En fait, Jude essaiera toujours de vivre « une vie comme les autres » tout en ayant eu une enfance pas comme les autres du tout...
Jude est le catalyseur du quatuor, celui qui relie les amis entre eux. Ils seront toujours là pour lui, pour l'aider, le réconforter, pour essayer de le comprendre, et ce malgré le silence persistant de Jude. Il se cache, il s'automutile. Il est suivi par un médecin fort compétent, Andy, qui deviendra au fil du temps bien plus, il sera son ami, celui qui verra son mal concrètement en soignant ses scarifications. Un autre personnage important viendra prendre soin de Jude, c'est Harold. Il a été le professeur de Jude à la fac, et, avec sa femme Julia, il deviendra bien plus que cela au fil des ans. Mais pareil, il avance dans le flou car il n'arrive pas à savoir les secrets de Jude qui le font atrocement souffrir. Nous, en tant que lecteurs, nous en apprendrons plus vite qu'eux. Les souvenirs de Jude seront nous seront délivrés parcimonieusement, au fil de sa vie. Il faudra avoir bien souvent le cœur bien accroché, car ce qu'il a vécu est souvent synonyme d'horreur. Je comprends son mal-être et son besoin de se scarifier. Je me demande même comment il a fait pour résister aussi longtemps et vivre avec de tels souvenirs. Je me disais surtout qu'on ne pouvait pas faire pire, et à chaque nouveau souvenir, si, ça l'était. Je me suis pourtant fait la réflexion à un moment du livre, que c'était peut-être un peu trop, que l'auteure en faisait trop et en sur-ajoutait. Je sais bien qu'il y a des personnes qui ont la poisse et ne rencontrent que des gens mauvais, mais là, à chaque nouvelle rencontre, Jude vivra un drame.. Même dans sa vie d'adulte, malgré ses amis, il y aura un homme pour lui faire du mal. J'avoue que parfois, ça m'a semblé un peu de trop. Mais bon, je sais aussi qu'il y a des gens qui n'ont pas de chance, et surtout que blessés une fois, ils ne rencontreront que des personnes qui leur feront le même schéma à chaque fois. J'ai juste trouvé que l'auteure surenchérissait de trop. Ceci est un point de vue personnel, bien sûr. J'ai lu des avis sur ce roman où cela n'a pas été ressenti de cette façon. J'ai trouvé qu'à trop vouloir faire ressentir de l'empathie pour Jude, l'auteure allait trop dans l'excès.
Je dois bien avouer que j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages au début du roman, et qu'il a fallu attendre un premier quart avant de ressentir quelque chose. Ça commence à peu près au moment où on a les premiers souvenirs de Jude, où on commence à apercevoir la vérité. J'ai trouvé le début long à lire, il a fallu que je m'accroche, je me doutais bien que les premières pages et premiers chapitres étaient là pour présenter les personnages, leurs vécus et leurs émotions. Mais je me suis souvent un peu perdue, à me demander qui était qui ou faisait quoi. Passé un premier quart, ça a été bien mieux. En fait, pour moi, une fois que l'histoire commence à tourner plus particulièrement sur Jude et non plus sur chacun des autres, j'ai trouvé la lecture plus addictive et intéressante. Je me suis parfois perdue dans des explications, car l'auteure en parlant d'une situation part en explication par rapport à d'autres personnes ou d'autres faits, et ce, généralement entre parenthèses, ce qui fait qu'arrivée à la fin de la phrase, je ne me souvenais plus de quoi on parlait, et il fallait que je relise pour comprendre. L'auteure part souvent dans des grandes phrases avec beaucoup de ramifications, et ça m'a un peu perdue. Mais bon, c'est mon ressenti à moi, d'autres aimeront cette façon d'écrire. Les descriptions aussi sont parfois longues. Et en même temps, il y a des parties dans le livre qui se lisent tout seul, sans aucun problème. En fait, j'ai trouvé que ça alternait entre des moments longs et d'autres plus captivants et plus rythmés surtout.
Je ne me suis pas tout de suite attachée à l'un ou l'autre des quatre amis. J'ai eu beaucoup de mal. Cela s'est fait petit à petit, au fur et à mesure des révélations sur Jude. J'ai réussi à m'attacher à lui lorsque je me suis rendue compte de ce qu'il avait vécu. Le choix narratif n'aide pas non plus. Il est fait à la troisième personne du singulier, c'est déjà une façon de faire qui, pour moi, ne m'aide pas à ressentir ce que vivent les personnages. Il y a quelques chapitres (mais très peu) qui sont à la première personne, le « je » représente alors Harold, et à ce moment là, j'ai très bien pu ressentir les émotions qui le traversaient. Mais encore une fois, ceci est un ressenti personnel, je suis plus sensible à la narration à la première personne, ceci n'engage que moi, d'autres se sentent plus à l'aise avec la troisième personne.
Je ne suis tout de même pas restée de marbre devant la vie de Jude et ses événements. C'est quand même difficile de ne pas être remuée par ce qu'il a connu. L'auteure fait passer à travers lui de nombreux messages sur la maltraitance enfantine, sur la pédophilie, sur la construction de l'adulte. Comment peut-on se fabriquer en tant qu'homme quand on a été autant humilié dans son enfance. L'auteure donne également de beaux messages sur l'amitié, l'amour, l'acceptation de soi et des différences. J'ai été bien souvent triste, l'auteure n'hésite pas à faire souffrir ses personnages, entrainant ainsi une profonde empathie pour eux. Je ne m'attendais pas non plus à certains événements qui m'ont laissée bouche bée. Le final, quant à lui, est dans la continuité du reste du livre. Et puis, on va vivre trente années avec ces hommes, trente années où le monde va changer, en bien ou en mal, où on va assister à l'évolution des villes et notamment ici, New York. On assiste à la transformation de la société, à ce qu'elle ne tolère plus et ce qu'elle a laissé passer avant. C'est en même temps une fine analyse de trente années de vie humaine.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé cette histoire, j'ai aimé oui. Cependant, je l'ai trouvée trop longue, elle aurait pu faire trois cents pages de moins que ça n'aurait rien fait de spécial au reste du contenu. C'est le problème avec les gros livres, il est difficile de les juger s'il n'y a qu'un pourcentage qu'on a aimé. Mais malgré les longueurs et les petits défauts de ce livre, il me restera en mémoire, Jude et les autres seront marqués et je ne pense pas les oublier de sitôt. Donc, quelque part, quand on ressent cela à la fin d'une lecture, c'est que celle-ci a rempli son objectif et a été bonne.
Si vous lisez ce livre, je pense que la première recommandation à vous faire est de vous accrocher à votre lecture, à ne pas l'abandonner même si vous passez les cent premières pages à tourner un peu en rond. Vous verrez que l'intérêt vient après pour ne pas redescendre jusqu'à la fin. Je suis contente d'avoir fait cette lecture, et cette découverte. C'est le premier roman de Hanya Yanagihara, et je me demande déjà comment va être le prochain et quel va en être le sujet.
En tout cas, grâce au Prix des Lecteurs du Livre de Poche, je fais de très belles découvertes que je n'aurais peut-être pas fait de moi-même, et ça aurait été bien dommage. J'ai hâte de lire la sélection de mars pour en faire de nouvelles !